Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/536

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourse assez bien garnie, en la priant de recevoir, de temps en temps, des lettres à son adresse.

» Cela ne souffrait aucune espèce de difficulté… Seulement, lorsqu’arriva la première lettre datée de Francfort-sur-le-Mein, Batailleur m’en toucha quelques mots en riant. — À qui s’intéresserait-on, sinon à une sœur ? Ma curiosité fut puissamment excitée.

» Batailleur voulut faire la discrète, comme de raison… mais, en définitive, sa fortune est entre mes mains. C’est grâce à moi qu’elle a vingt ou trente mille écus inscrits au grand-livre, et c’est encore avec mes fonds qu’elle fait aller sa maison de jeu de la rue des Prouvaires… »

— Décidément, interrompit Esther, — c’est donc elle qui tient la fameuse maison de jeu ?

— Folle que je suis ! s’écria Petite ; ne te l’avais-je pas dit encore !… Tu as pu croire, pauvre sœur, que j’avais des secrets pour toi… C’est elle-même, ou plutôt, c’est un peu moi, sous son nom…

Un étonnement plus vif se peignit dans le regard d’Esther.

— Oh ! tu verras, reprit Petite, je t’expliquerai cela tout à l’heure, et tu comprendras qu’il n’y a rien à craindre… L’intérêt de Batailleur est de se faire mettre en prison vingt fois avant de livrer mon secret… pour en revenir, j’ai mis deux ou trois mois à vaincre sa résistance, et lorsqu’enfin elle m’a montré une lettre du galant mystérieux, il s’est trouvé que les tourtereaux n’en étaient plus aux confidences, et que la missive ne contenait rien… la lettre qui vint ensuite était encore plus insignifiante… et j’attends la troisième.

— C’est fini, peut-être, dit Esther.

Petite eut un sourire méchant.

— Peut-être d’un côté, répliqua-t-elle ; le galant ne me semble pas en effet fort empressé… mais de l’autre…

Elle n’acheva point, et son doigt tendu désigna la fenêtre du pavillon.

Esther reprit la lorgnette.

Un rayon de soleil d’hiver, passant à travers les branches dépouillées des arbres du jardin, frappait obliquement les vitres du pavillon de gauche et allait tomber en plein sur le joli visage de Lia.

On distinguait, comme si on eût été tout près d’elle, la pâleur mate de