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ressources fabuleuses que les poètes comiques donnent à leurs coquins de valets.

Or, le tour de la conversation donnait à entendre que madame Batailleur et Lia allaient entrer en scène de compagnie.

La femme vieillie dans l’intrigue, la brocanteuse rompue à tous les genres de tromperie, et la jeune fille ingénue…

C’était curieux ! — Esther attendait.

— Je suis allée chez Batailleur, reprit Sara, pour une petite affaire de bourse… j’ai beaucoup d’actions sous son nom… Devinez qui j’ai rencontré dans sa boutique !

— Lia ?… murmura Esther.

— Chère, vous devinez tout ! s’écria Petite en jouant au dépit enfantin ; — c’était Lia, en effet… Lia, notre ange pur, qui venait chercher une lettre de son amant.

— C’est donc madame Batailleur ?…

— Voici ce que vous n’auriez pas deviné peut-être ! Lia n’a guère été notre amie que pendant quinze jours, mais, pendant ces quinze jours, j’ai bien eu le temps de faire quelques petites choses… sans savoir à quoi cela pourrait me servir un jour, je lui ai fait connaître cette bonne Batailleur, qui est si discrète et si complaisante… je l’y avais menée sous prétexte de choisir des dentelles, et je n’avais pas manqué de lui faire l’éloge de toutes les qualités qui distinguent l’excellente Batailleur… Notre ange m’écoutait, ma foi, fort attentivement, et il paraît qu’elle ne perdit pas un mot de mon discours, car elle retourna seule au Temple, le lendemain.

— Dès le lendemain ?

— Hélas ! oui… Elle sut retrouver la boutique de Batailleur, et, tout en rougissant d’une façon virginale et charmante, elle lui fit je ne sais quel conte à dormir debout… un cousin persécuté par la famille et dont elle avait pitié… des billevesées, ma chère !

— Voyez-vous bien cela ! — murmura la comtesse… je n’aurais jamais cru…

— Il faut toujours croire… Bref, elle mit dans la main de Batailleur, qui est la femme du monde la plus incapable de refuser, une jolie petite