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— Vous êtes une grande enfant, Esther, disait-elle avec un peu de mépris dans la voix ; — vous avez peur de tout, et, avec la bonne envie de jouir de la vie, vous restez dans votre coin comme une nonne.

— Le bal d’hier en est une preuve !… murmura la comtesse en souriant.

Petite haussa les épaules.

— Ne voilà-t-il pas un bel exploit ! s’écria-t-elle ; — le bal d’hier !… on dirait que vous avez soulevé une montagne !…

— Je ne sais pas ce que j’ai fait, répondit Esther, dont la figure se rembrunit légèrement, — mais je suis bien sûre d’avoir commis une folie… S’il m’avait reconnue, Sara !

Petite éclata de rire.

— Mon Dieu ! que j’aurai de peine à vous former, ma sœur ! dit-elle ; vous avez peur de votre ombre, et il semble que tous les yeux sont fixés sur vous, dès que vous quittez le coin de votre feu… Vous êtes veuve pourtant, et nul n’a le droit de contrôler vos actions. Que feriez-vous donc, bon Dieu ! si vous étiez à ma place ?

— Cela dépend, reprit la comtesse.

— Assurément… il est sous-entendu que vous n’aimeriez pas votre mari…

— Si j’épouse Julien, je l’aimerai, ma sœur.

— Quelque temps, je ne dis pas… Mais c’est justement pour cela que vous devriez vous dédommager par avance.

— Me dédommager de quoi ! dit Esther, si je dois être heureuse…

— Hélas ! ma pauvre chère, le bonheur est si ennuyeux !… S’aimer, se le dire, se regarder, bâiller tendrement, avoir toujours devant soi le même visage, ne jamais rien désirer, trouver la félicité à heure fixe… Je ne sais pas, mais il me semble que ces délices me tueraient tout net.

Esther sourit encore.

— Comme tu arranges tout cela, Petite ! dit-elle ; tu n’aimes que le fruit défendu, et tu voudrais, en bonne sœur, le partager avec moi.

— C’est la vérité, s’écria Petite. Tu es belle ! ma pauvre Esther, tu es jeune, et tu t’ennuies !… Je voudrais t’intéressera la vie, parce que je t’aime… Je voudrais te donner la moitié de mes plaisirs et te faire si heu-