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sur une causeuse, chauffait ses pieds, et levait le bras de temps à autre avec indolence pour respirer le parfum d’un gros bouquet de violettes de Parme. Elle était pâle ; un cercle bleuâtre cernait ses yeux alanguis : le plaisir fou de la nuit avait laisse sur sa beauté des traces visibles. Sara, au contraire, assise à l’autre coin de la cheminée, était aussi fraîche que d’habitude, et semblait avoir donné sa nuit à un tranquille sommeil.

Pour quiconque eût été initié aux joyeux, mystères du bal Favart et du café Anglais, ç’aurait été miracle. Les fatigues avaient été les mômes ; on avait partagé l’orgie ; ces deux femmes s’étaient amusées vaillamment, ne reculant devant aucun effort, et traitant la lassitude du bal par le Champagne du déjeuner.

L’une était forte ; sa riche taille unissait la perfection à la vigueur ; ses formes accusaient la jeunesse exubérante ; la santé florissait sur sa joue veloutée. L’autre était frêle ; toute sa personne présentait un modèle exquis de gentillesse gracieuse, mais débile : il semblait qu’un effort dût la briser, un souffle la courber, un excès l’anéantir.

Et c’était la femme forte qui fléchissait. Petite se montrait plus vive que jamais et plus accorte ; sa taille mignonne n’avait rien perdu de son élasticité ; ses yeux étaient brillants, son teint uni, et sa physionomie exprimait le bien-être le plus complet.

Il y a des natures qui passent au travers du plaisir comme la salamandre parmi les flammes. La jouissance mortelle les vivifie ; elles viennent respirer l’air étouffant de l’orgie nocturne, comme le malade humer, dans les jours du printemps, les brises bonnes de la campagne en sève.

Esther était arrivée la première ; on voyait encore auprès d’elle, sur la tablette de la cheminée, le livre ouvert qu’elle avait essayé de parcourir.

C’était un roman du cœur, une étude de femme, quelque chose qu’on met sur les meubles, et qu’on ne lit pas.

Petite tenait à la main une charmante lorgnette de spectacle qui n’était pas tout à fait pour elle un jouet inutile ; deux ou trois fois déjà, depuis sa venue, elle s’était, en effet, levée pour braquer son binocle sur les fenêtres du pavillon de gauche, où se tenait sa jeune sœur Lia.

En ce moment, elle avait repris sa place au coin de la cheminée, et c’était elle qui parlait.