Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rue d’Anjou. Le troisième côté de l’enclos confinait à d’autres jardins.

Le long du mur côtoyant la rue d’Astorg, il y avait une serre magnifique, attenant d’un côté à ce kiosque, dont nous avons parlé plus haut, et qui avait servi jadis à cacher les fautes mignonnes d’une jolie duchesse. De l’autre côté, la serre rejoignait la maison, ou du moins l’un des deux pavillons en retour qui flanquaient l’arrière-façade.

Le rez-de-chaussée de ce pavillon servait de boudoir à Lia de Geldberg, qui avait pour promenade, dans les jours froids de l’hiver, la serre tiède, toute pleine des belles fleurs qu’elle aimait.

Le rez-de-chaussée du second pavillon formait un charmant petit salon, où les deux filles aînées du vieux Moïse se tenaient d’ordinaire, lorsqu’elles étaient à l’hôtel. Les associés de Geldberg, M. de Laurens et le vieux juif lui-même, venaient les y rejoindre quelques minutes avant le dîner, et c’était de là qu’on partait pour se rendre à table.

M. et madame de Laurens, la comtesse Lampion, Abel, le docteur et Reinhold faisaient rarement défaut au repas de famille. C’était là une des mille coutumes patriarcales qui donnaient de loin une si vertueuse tournure à la maison de Geldberg.

En face du kiosque d’érotique mémoire qui s’ouvrait sur le passage d’Anjou, un autre kiosque s’élevait pour la symétrie. On ne racontait rien sur celui-ci, et il servait seulement à faire partie carrée avec son camarade et les deux pavillons en retour.

De la maison, il était presque impossible de l’apercevoir, car le jardin de Geldberg n’était point un de ces préaux malheureux, ornés d’un gazon pelé qu’ombragent cinq ou six acacias maigres et que les Parisiens désignent sous le nom d’endroits délicieux ; un de ces trous malsains où les lilas viennent jaunes, où les roses s’étiolent, où la vigne malade produit des groseilles vertes, un de ces paradis bourgeois, fertiles en sciatiques, protégés par six étages contre le soleil, où toute chose languit, sauf les fourmis et les araignées.

C’était un vrai jardin, avec de larges pelouses et de grands arbres, qui n’eussent point fait honte à un parc.

Dans le pavillon de droite, madame de Laurens et la comtesse Esther étaient réunies. Esther, en toilette du matin, nonchalamment étendue