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Gunther de Bluthaupt buvait. Un fugitif incarnat montait à sa joue, qui, l’instant d’après, redevenait plus blême.

Auprès de lui s’asseyait un gros garçon tout obèsè, tout rond, dont les petits yeux débonnaires semblaient clos par un demi-sommeil. Une forêt de cheveux jaunâtres couvrait son front large et bombé. Ses joues vermeilles retombaient sur le collet rabattu de sa chemise, et tout le reste de sa personne affectait la forme d’une boule que l’on eût revêtue d’un habit noir.

Ses deux mains grasses, blanches et courtes, s’appuyaient sur son ventre rebondi, et mariaient le luxe de leurs bagues aux magnificences d’un gros faisceau de breloques descendant jusque sur la cuisse.

Cet homme gros était meinherr Fabricius Van-Praët, physicien hollandais, favori du vieux comte, et commensal ordinaire du château.

Après lui venait le personnage long, maigre et grave, qui était le docteur José Mira, Portugais de naissance, et plus savant que tous les praticiens réunis de la Confédération germanique.

Cet habile médecin ne quittait guère le schloss. Gunther de Bluthaupt se croyait mort dès qu’il perdait de vue la grande figure décharnée et la tête pointue de son docteur.

Van-Praët était un homme de quarante ans. Mira n’avait pas encore atteint sa trentième année. Ceux qui le connaissaient dès longtemps disaient que, depuis son extrême jeunesse, il avait cet air moisi du pédant prédestiné à l’état de perruque.

Ceux qui le connaissaient mieux encore, et le nombre n’en était pas grand, prétendaient que c’était là un masque attaché péniblement, et que le docteur portugais attendait la quarantaine et sa fortune faite pour devenir un jeune homme.

Le quatrième personnage était placé en face du vieux comte, et occupait l’autre coin du foyer. — C’était une de ces figures allemandes, plates, froides, étroites, insignifiantes, immobiles. Il n’y avait sur son visage engourdi ni bonté, ni malice, ni esprit, ni sottise : il n’y avait rien du tout.

Zachœus Nesmer, pourtant, l’intendant de Bluthaupt, savait admirablement faire ses affaires, sinon celles de son maître, comme nous pourrons le voir.