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La mère Regnault était bien vieille. L’âge et la misère s’étaient réunis pour affaiblir ses facultés. L’émotion trop forte la plongeait en une sorte de délire tranquille et doux.

Elle eut ce regard inquiet des mères qui surprennent chez un fils aimé le premier symptôme de souffrance. Autour de sa lèvre décolorée, un sourire attendri vint errer.

— Pauvre Jacques !… murmura-t-elle encore.

Et, l’illusion faisant revivre des souvenirs de vingt-cinq ans, elle ne vit plus M. le chevalier de Rcinhold, mais bien l’enfant du Temple, qui cachait son visage entre ses mains, et qu’il fallait consoler.

Elle se leva sans bruit. Ses jambes brisées tremblaient, mais elle ne s’en apercevait point.

Elle se glissa, en s’appuyant à la muraille, tout le long de la banquette, et parvint jusqu’au chevalier.

Celui-ci fouillait sa cervelle troublée, et cherchait un expédient pour mettre fin à cette situation, qui l’écrasait. Il ne trouvait rien.

Sa préoccupation l’empêcha d’entendre le pas lent de la vieille femme, qui s’assit sur la banquette, à quelques pas de lui.

Elle le contemplait avidement, et s’approchait de lui d’un mouvement insensible, comme si une main que l’on ne voyait point l’eût attiré en avant.

Quand elle fut tout auprès de lui, ses mains s’élevèrent et s’ouvrirent pour le toucher ; — mais elle n’osait pas encore.

Durant deux ou trois secondes, elle demeura ainsi, les doigts étendus à deux pouces de l’épaule de Reinhold, immobile, muette, et retenant son souffle.

Au bout de ce temps, sa poitrine amaigrie souleva brusquement l’étoffe usée de sa robe. Ses yeux s’emplirent de larmes.

— Jacques, dit-elle ; — tu souffres, mon petit Jacques !…

Reinhold se recula épouvanté.

Ses yeux grands ouverts exprimaient de l’horreur et comme de la folie.

— Il y a bien longtemps que je ne t’ai vu de si près ! reprit la mère Regnault ; — mais tu aurais pu changer davantage encore, je t’aurais toujours reconnu… mon Jacques ! mon enfant chéri ! si tu pouvais savoir comme je t’aime !