Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qui pouvait causer ce trouble subit, sinon la pauvre femme ? Rodach l’examina de nouveau et plus attentivement.

Il remarqua sa pose suppliante et l’émotion profonde qui était sur ses traits flétris. Ce visage éveilla vaguement ses souvenirs.

Il ne pouvait point encore lui donner un nom ; il se rappelait ; il était sûr d’avoir vu la vieille femme quelque part…

Celle-ci contemplait le chevalier avec des yeux humides.

Le chevalier ne bougeait pas. Il clouait ses regards au sol, comme si la tête de Méduse eût été au-devant de lui.

Le regard de Rodach allait du chevalier à la bonne femme et de la bonne femme au chevalier. — Une idée était au seuil de son esprit, mais il ne comprenait point encore.

Klaus s’était arrêté à l’autre bout de l’antichambre. Il faisait des efforts inutiles pour garder cet air impassible et grave qu’il revêtait d’ordinaire en même temps que son bel habit noir. Il regardait de loin cette scène muette avec de gros yeux effarés, et se demandait ce qu’il pouvait y avoir de commun entre M. le chevalier de Reinhold, si fier, si riche, si insolent, et cette malheureuse vieille, qui osait à peine, naguère, lui adresser la parole, à lui, Klaus.

Madame Regnault, pour lui, ne valait guère mieux qu’une mendiante, avec son air humble et ses vêtements usés jusqu’à la corde. Comment expliquer l’effet étrange que produisait sa vue sur l’un des associés de la puissante maison de Geldberg ?…

Car il n’y avait pas à s’y tromper, il ne restait là que la vieille femme et lui, Klaus ; c’était bien elle qui pétrifiait ainsi M. le chevalier de Reinhold.

Comme de raison, Klaus avait beau s’interroger, son esprit ne lui faisait aucune réponse. C’était là, pour lui, un mystère inexplicable ; il restait là planté comme un mai, les bras tombants et les yeux hors de la tête.

À mesure que ce silence et cette immobilité se prolongeaient, le malaise de M. de Reinhold devenait plus visible. Ses lèvres pâlies s’agitaient en de légers tressaillements, son front sillonné de rides soudaines prenait tour à tour des tons blafards et pourpres.