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Abel lui en gardait de la rancune ; mais le peu d’esprit qu’il avait suffit à comprendre que la rancune serait ici dépensée en pure perte.

— C’est fort aimable à vous, monsieur le baron, reprit-il en mettant à manier le meuble abyssinien toute l’aisance d’un connaisseur, — d’avoir bien voulu vous souvenir de ma petite requête…

— Je suis venu, monsieur, répondit Rodach, parce que, dans la position où nous nous trouvons vis-à-vis l’un de l’autre, j’ai pensé que vous pourriez avoir à me faire quelque ouverture importante.

Abel s’était improvisé à l’avance toute une série de façons cavalières ; mais la froideur de M. de Rodach dut changer ses allures et couper court à toute tentative de familiarité prématurée.

— Monsieur le baron, répliqua-t-il, vous ne vous êtes point trompé ; j’ai en effet une proposition à vous faire, et je désire vivement qu’elle vous agrée… Dans la crainte d’abuser de vos moments, j’entrerai, s’il vous plaît, tout de suite en matière.

Rodach approuva d’un geste courtois, et s’arrangea commodément pour écouter.

— Voici le fait, poursuivit Abel : depuis fort longtemps, j’ai cru m’apercevoir que le docteur Mira et M. le chevalier de Reinhold ont un ou plusieurs secrets auxquels ils ne me font point l’honneur de m’initier… Aujourd’hui, quelques mots prononcés par vous ont changé mes doutes en certitude. Je ne vous demande aucune révélation à ce sujet, monsieur le baron ; mais il est évident pour moi qu’il y a, dans le passé de Reinhold et de Mira, quelque ténébreuse histoire où se trouve mêlé, de manière ou d’autre, M. de Geldberg, mon père…

— Il y a, en effet, quelque chose comme cela, répondit Rodach.

Abel attendit une seconde, croyant que son compagnon allait ajouter quelques mots d’explications ; il n’en fut rien.

Le baron brûlait son cigare avec la lenteur d’un adepte, et lançait au plafond de belles spirales de fumée.

— C’est donc un fait acquis, poursuivit Abel ; eh bien ! monsieur, malgré mon ignorance entière à cet égard, je puis vous affirmer hardiment que mon pauvre père fut une dupe entraînée et non point un coupable… Je connais sa nature faible et bonne… et je connais le caractère