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ment d’artiste, ni même ce tact irraisonné qui était, dit-on, l’apanage des vrais grands seigneurs.

Un pain de sucre, enveloppé de brocard, est toujours un pain de sucre, et Turcaret a beau faire…

Outre les tableaux, il y avait des statuettes, des vases du Japon et toutes sortes de chinoiseries.

La cheminée était encombrée, la console regorgeait, les étagères fléchissaient.

C’était un de ces réduits où l’on ne peut point entrer, quand on a le caractère bien fait, sans dire : C’est un petit musée ! Quelle nature d’artiste vous avez ! C’est un vrai sanctuaire ! délicieux ! ravissant ! adorable ! — et autres…

L’impôt est fixé ; il faut dire cela ou ne point passer sur le seuil.

La divinité du temple était ici tout bonnement le jeune M. Abel de Geldberg.

Au moment où nous soulevons un coin de la draperie de soie qui tombait à plis chatoyants sur la porte d’entrée, Abel était assis au coin de son feu, vis-à-vis du baron de Rodach.

Le jeune M. de Geldberg avait une robe de chambre inouïe, et des babouches comme il n’est point possible d’en rêver.

Dans l’impuissance où nous sommes de peindre convenablement les suavités de sa chauffeuse favorite, nous faisons appel à l’imagination de nos lecteurs.

Il n’y avait pas plus d’une minute que le baron avait été introduit. Abel venait d’achever les compliments préliminaires, et lui offrait des cigares de la Havane dans un étui O-jib-be-was.

Le baron accepta le cigare, sans trop regarder l’étui.

— Mon Dieu, monsieur le baron, dit Abel en lui tendant du feu dans une cassolette fabriquée aux sources du Nil, — j’ai pris la liberté de vous faire venir dans ma pauvre mansarde, et j’espère que vous voudrez bien m’excuser.

Le baron lui rendit la cassolette, et lança une bouffée tout affirmative.

Il était peut-être le premier mortel qui fût entré dans le sanctuaire sans dire une sottise, en lorgnant les croûtes somptueusement encadrées.