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vers de mon habit, pour tâter la place où devait être mon portefeuille.

» Je ne sentis rien à cet endroit qui résistait sous ma main d’ordinaire ; je fouillai précipitamment dans ma poche : elle était vide.

» Alors le souvenir de la voix entendue me revint et je retournai sur mes pas, poussé par un vague espoir.

» Je n’allai pas bien loin. Au coin de la rue de la Ville-l’Évêque, à l’endroit même où j’avais entendu le dernier cri, je trouvai un enfant misérablement couvert, assis sur une borne et pressant à deux mains sa poitrine haletante. La sueur inondait son visage : il semblait rendu de fatigue au point de ne plus pouvoir bouger.

» Mais, dès qu’il m’aperçut, il bondit sur ses pieds et s’élança vers moi, en brandissant mon portefeuille au-dessus de sa tête.

» Ma foi, cher monsieur, l’enfant avait une jolie figure, et je tenais beaucoup aux billets de banque de mon portefeuille, qui contenait en outre certains papiers pouvant me nuire. Que voulez-vous ! il y a des moments où les plus sages deviennent idiots ! il n’y a pas à dire, je me laissai prendre ; je fus attendri comme un bourgeois ; je mis l’enfant chez un maître d’écriture, et l’enfant devint employé de Geldberg… »

— Ah ! monsieur le chevalier, dit Rodach qui avait repris toute sa froideur, — je ne vous reconnais pas là !…

— Certes, répliqua Reinhold, cherchant de bonne foi à s’excuser, — cela m’étonne moi-même quand j’y pense… Mais, encore un coup, il est des moments où le mieux avisé ne sait pas ce qu’il fait… D’ailleurs, qui sait si tout cela ne s’arrangea pas pour le mieux ?… Si l’enfant était resté dans la rue, il aurait grandi loin de nos regards, et quelque méchante aventure aurait pu toujours le jeter au-devant de nous, tandis que maintenant…

— C’est vrai, dit Rodach, à quelque chose imprudence est bonne… Mais comment sûtes-vous plus tard que c’était lui ?…

— Ce ne fut pas tout de suite… On était, ma foi, fort content de lui dans les bureaux ; il allait admirablement, et je me sentais un faible pour lui… Mais, j’ai toujours eu du bonheur, et, neuf fois sur dix, quand je fais une sottise, le hasard se charge de la réparer… Voilà que notre petit coquin devient amoureux un beau jour, et de qui ? de la jeune fille que je prétends épouser moi-même !