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et les toasts communistes portés dans les orgies, l’esprit allemand se courbe respectueux devant les souvenirs des vieux âges, et s’il est un pays au monde où la pensée féodale ait gardé sa force vivace, c’est sans contredit l’Allemagne, où tant de poignards innocents font semblant de chercher le cœur du despotisme.

Lors même que la tradition et le chartrier bien fournis de la burg du vieux Gunther n’eussent point porté d’irrécusables témoignages en faveur de l’ancienneté de race, il eût suffi de jeter un regard sur le château pour se faire une haute idée de l’antique puissance de Bluthaupt.

Au milieu de la forte enceinte de murailles, protégée par de larges douves, se dressait un édifice de style composite, où toutes les époques du roman et de ce qu’on nomme le gothique étaient bizarrement confondues. Autour de cet édifice se groupaient sans ordre une quantité de bâtiments secondaires, construits en différents temps et pour satisfaire aux besoins successivement multipliés d’une puissance croissante.

Au delà des douves, où une arche en maçonnerie avait remplacé le pont-levis du moyen âge, la grande porte en voûte surbaissée montrait encore les dents rouillées de sa herse et deux trous profonds servant de fourreau à ces robustes bras de chêne, qui redressaient autrefois ou abaissaient le lourd plancher du pont-levis. — À droite et à gauche, deux tours trapues et obèses avançaient leurs ventres moussus ; entre elles, on distinguait encore un reste d’écusson, soutenus par des débris d’anges.

Tout cela portait le cachet du roman le plus ancien et devait avoir été bâti avant le règne de Charlemagne.

Immédiatement au-dessus de la porte se suspendait une sorte de cage, formée d’énormes pierres, dentelée d’étoiles à jour et de fantastiques figures, percées au ciseau dans le granit. Cette cage appartenant à une époque bien postérieure, avait dû servir de poste d’observation. — Les habitations allemandes, maisons ou châteaux, possèdent presque toutes d’ailleurs quelqu’une de ces lourdes coquilles collées à leurs vieux murs.

Devant le pont jeté sur la douve, se dessinait en zigzag l’ancienne voie fortifiée, qui était autrefois la seule avenue de la burg.

On pouvait suivre encore ce chemin creux aux parois de pierres de taille, que perçaient de fréquentes meurtrières.