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— Et pourquoi ne l’épouseriez-vous pas, mon Dieu !… Vous l’aimez ; je crois savoir que vous ne lui déplaisez pas ; vous avez une jolie fortune ; elle est puissamment riche… Vous êtes noble, ce qui est beaucoup à ses yeux ; car, mon cher enfant, elle a des goûts éminemment distingués… Vous êtes beau garçon ; c’est une ravissante femme !… Encore une fois, pourquoi ne l’épouseriez-vous pas ?

Julien secoua la tête lentement.

— Tout ce que vous dites est bien vrai. Madame, murmura-t-il. Mais…

— Mais… répéta la vicomtesse, en battant du pied le tapis.

L’enseigne baissa les yeux, et garda le silence.

Il songeait au bal Favart, et ses doutes lui revenaient plus vifs en ce moment. — Mais il n’osait point parler de ses doutes à sa mère, et n’avait garde de lui conter l’aventure gaillarde qui en était l’origine.

Il voulait pourtant se plaindre, ne fût-ce que pour être rassuré.

Il hésitait. — Madame d’Audemer, impatientée et presque en colère, le pressait de questions.

— Mon Dieu ! Madame, dit enfin l’enseigne, vous avez bien deviné : je suis triste… et ma tristesse vient justement d’Esther.

— Comment cela ?

— Que vous dire ?… je l’aime encore… je l’aime autant que jamais, et je ne sais plus s’il convient que je l’épouse.

— Mais vous avez un motif ?… dit la vicomtesse, déterminée à ne pas abandonner ainsi la bataille.

Julien demeura sans réponse ; il avait honte de ses soupçons, qu’il conservait pourtant, et qui même prenaient sur lui plus d’empire, à mesure qu’il réfléchissait. — Il eût mieux aimé se taire et passer condamnation, que de mettre au jour ce doute qui le rendait si malheureux.

Ce doute avait réellement, par lui-même, un aspect extravagant. La réputation des dames de Geldberg était si bien établie ; leur sagesse était si austère ; leur vie était si parfaitement au-dessus de la vulgaire médisance et de ces mille bruits qui effleurent en passant la renommée du commun des femmes à la mode !

Dans son trouble, Julien s’agitait sur la causeuse, et sa main tourmentait les revers de son uniforme.