Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savait pas davantage lui-même, et il nous quitta au bout des Champs-Élysées pour se rendre auprès de Verdier… Voyons, père Hans, vous qui êtes un homme de jugement, donnez-moi votre avis là-dessus… Pensez-vous que j’aie été pour quelque chose dans la conduite de cet Allemand ?

— Moi, j’en suis sûre ! s’écria étourdiment Gertraud.

Le marchand d’habits lui imposa silence d’un geste furtif et rapide.

— Moi, je n’en crois rien du tout, dit-il à son tour. D’après votre récit, l’Allemand connaissait ce Verdier qui se troubla en l’apercevant à la Porte-Maillot… Il est évident qu’il n’a fait là que ses propres affaires.

Franz regarda successivement Gertraud, qui baissait la tête sur son ouvrage, et le marchand d’habits, dont la figure ouverte, exprimait une nuance d’embarras.

Durant quelques secondes, il garda le silence et parut réfléchir.

— Ma foi ! s’écria-t-il ensuite, en secouant brusquement sa tête blonde, — j’ai beau chercher, je m’y perds !… Les regards de cet homme avaient une expression étrange tandis qu’il m’épiait au bal… Il fallait bien qu’il eût une raison quelconque pour me guetter ainsi, et rien ne m’empêchera de croire qu’il est pour quelque chose dans tous ces mystérieux obstacles qui se sont mis entre moi et l’épée de Verdier… Mais, en définitive, père Hans, j’aime mieux être vivant que mort, et je ne vois pas pourquoi je ferais semblant d’entrer en grande colère, parce qu’on m’a empêché d’être tué par un coquin… Je suis allé là de franc jeu ; ma conscience ne me reproche rien… Et, si ce grand gaillard d’Allemand s’est battu pour moi, je lui vote des remerciments à tout hasard.

Franz disait cela d’un air moitié gai, moitié résigné. Évidemment, il faisait bon visage à mésaventure, et le dénoûment de l’affaire lui laissait quelque chose sur le cœur.

Sa main tourmentait les belles boucles de ses cheveux, et il avait perdu son sourire.

— D’ailleurs, reprit-il, répondant à une objection que lui faisait sa fierté, — il faudra bien que je revoie cet homme quelque jour, et alors je lui demanderai quel droit il a de me protéger !

Un nuage plus sombre passa sur son front.