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Franz parla ensuite du cavalier allemand qui s’était attaché à ses pas, durant la première partie du bal, — puis le cavalier allemand se changea dans son récit en brillant majo ; — puis le majo revêtit la robe rouge de l’Arménien ivre…

Et cet homme, qui se transformait ainsi à chaque instant, avait trois physionomies pour un seul visage. Franz le montrait grave et fier sous le manteau allemand, leste et rieur sous la veste courte du majo, apathique, et débonnaire sous la robe débraillée de l’Arménien.

Et il le montrait partout à la fois ! au bras de madame de Laurens, dont il n’avait garde de prononcer le nom, — dans le foyer, derrière les draperies des embrasures, sous les portes encombrées, et parmi la foule hurlante de la salle…

Partout ! partout !

Et sa parole vive donnait à ce tableau bizarre une couleur si étrange, que la jolie Gertraud l’écoutait, bouche béante, et retenait son souffle. Elle demeurait suspendue aux péripéties du récit ; c’était pour elle comme un roman mystérieux et entraînant, dont le dénoûment, retardé sans cesse, met en fièvre l’imagination du lecteur.

Son âme était dans ses oreilles. Elle saisissait chaque mot au passage, et, quand Franz s’arrêtait pour reprendre haleine, elle respirait, elle aussi, longuement, comme si sa curiosité l’eût oppressée…

Elle cherchait à deviner. Cette trinité fantasque l’intriguait et lui apparaissait toute pleine d’incompréhensibles mystères. — Son esprit allemand se complaisait en ces choses inexplicables. C’étaient, pour elle, les miracles d’une légende germanique, transportés au cœur de Paris ; c’était la poésie impossible des ballades, éclairée par la lumière ruisselante des lustres et jetée au grand jour de la civilisation.

Il n’y avait ni vieilles murailles pour cacher les fantômes, ni arceaux gothiques pour répéter d’échos en échos les mystérieuses paroles. L’ombre des grands arbres manquait ; les pâles rayons de la lune, amie des choses de l’autre monde, faisaient défaut ; il n’y avait rien des accessoires obligés du surnaturel ; — mais le surnaturel, ainsi mis à nu, et passant tête levée parmi les splendeurs d’une fête, n’en était que plus saisissant.

Gertraud frissonnait, et ses yeux s’ouvraient tout grands, son sein sou-