Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brusquement, comme il faisait toutes choses ce matin, et reprendre sa course agitée. Il ne donnait nulle attention à la jeune fille, dont la tendresse inquiète le surveillait toujours.

Sa promenade circulaire le ramenait périodiquement devant la porte. Au premier tour, ses traits étaient contractes violemment ; au second tour, Gertraud crut voir son front se dérider quelque peu ; au troisième le changement était sensible : il y avait en lui une idée bienfaisante, qui grandissait et qui chassait devant elle la sombre angoisse de sa rêverie.

Ses sourcils se détendaient ; ses yeux se ranimaient ; il y avait comme un sourire autour de ses lèvres.

— Fou que je suis ! dit-il : ce retard ne prouve rien !… il m’a promis de venir, c’est vrai, mais il doit avoir bien autre chose à faire que de visiter un pauvre homme comme moi… Ne sais-je pas qu’il peut tout ?… et pour quelle cause plus chère eût-il réservé son pouvoir ?

Gertraud entendait quelques mots çà et là, mais elle ne comprenait point. Seulement, elle était heureuse et rassurée, parce qu’elle ne voyait plus sur le visage de son père ce masque sombre qui lui avait donné tant d’effroi.

Hans l’aperçut, et lui fit signe d’approcher.

— Te souviens-tu de lui, ma fille !… dit-il, comme s’il n’eût point eu besoin de prononcer le nom de l’homme qui dominait si complètement sa pensée !

— De qui ? demanda Gertraud.

— Tu ne peux pas l’avoir oublié… ceux qui l’ont vu, ne fût-ce qu’une fois, se le rappellent toute leur vie… Il vint ici, voilà deux ans déjà… mon cœur s’élança vers lui, et tout un passé de joie ressuscita devant mes yeux…

Il s’interrompit pour donner le temps à Gertraud de dire : Je me souviens. Mais la jeune fille ne savait pas…

— C’est étrange ! reprit-il avec une sorte d’impatience, comme les enfants oublient !… As-tu donc vu beaucoup de gens avec cette taille noble et fière, ce front royal, ce regard qui commande et ce sourire qui séduit ?

— Je n’ai vu qu’un seul homme qui m’ait semblé plus beau que les autres hommes, dit Gertraud ; mais il n’y a pas deux ans : cela date d’hier…