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Hans donna un coup de poing sur la table.

— Ne puis-je avoir un instant de repos ! s’écria-t-il. — Laissez-moi ! je veux être seul !

Gertraud obéit, et se dirigea tristement vers la porte.

Comme elle approchait du seuil, la voix de son père s’éleva de nouveau.

— Personne ! disait-il : peut-être n’aura-t-il pas su trouver ma maison… peut-être…

Il s’interrompit. Son regard venait de tomber sur son registre, ouvert à la page où il avait relaté, la veille, l’achat fait au jeune Franz.

Ç’avait été le dernier marché de la journée. Les deux ou trois lignes qui en faisaient mention venaient les dernières sur le registre.

L’œil de Hans semblait ne pouvoir se détacher de ces lignes : c’était comme une fascination.

Une expression de douleur soudaine et profonde remplaçait la colère qui était tout à l’heure sur son visage.

— Ce sont ses dépouilles ! murmura-t-il d’une voix étouffée. Pauvre enfant ! pauvre enfant !

Son œil s’attendrit par degrés, jusqu’à devenir humide. Puis, tout à coup, il ferma le registre avec violence, et le repoussa loin de lui.

Il tira de sa poche une large montre d’argent.

— Comme le temps passe ! murmura-t-il ; neuf heures et demie !… Cette montre avance, j’en suis sûr… Gertraud, quelle heure avez-vous dans votre chambre ?

Gertraud alla consulter un petit cadran, collé à la muraille, vis-à-vis de son lit.

— Neuf heures et demie, répondit-elle.

Hans fit un geste de découragement, et appuya ses deux coudes sur sa table. Il demeura ainsi durant quelques minutes, immobile en apparence, mais tressaillant au moindre bruit, et tendant l’oreille, chaque fois qu’un pas d’homme résonnait au dehors sur le pavé de la cour.

Gertraud n’osait plus entrer, mais son regard plein de sollicitude surveillait son père à travers l’ouverture de la porte entrebâillée.

Au bout de quelques minutes, elle vit le marchand d’habits se lever