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sanglots davantage ; — nous t’accablons de notre malheur… Tout ce que tu gagnes est pour nous et vient s’engloutir dans notre misère… Écoute, Jean, mon bon fils, tu ne sais pas !… il faut nous quitter… il faut t’en aller bien loin, bien loin… Quand nous ne serons plus là pour te porter malheur ; je suis sûre que tu deviendras riche !…

« Et quand tu seras riche, Hans Dorn, qui est un homme juste et bon te donnera sa fille… »

Jean cherchait à l’interrompre et ne pouvait point y réussir.

La parole de Victoire était rapide et pleine d’exaltation ; elle avait l’éloquence que l’amour donne aux mères.

Ce fut la voix de l’aïeule qui l’arrêta.

Celle-ci s’était retournée vers la ruelle de son lit et s’était redonnée, tout entière, durant cette scène, à ses réflexions désespérées.

— Ma fille ! dit-elle tout à coup, — préparez ma robe du dimanche ; je vais sortir.

Victoire se leva aussitôt et alla prendre dans un coin, qui servait d’armoire, un paquet enveloppé d’une toile en lambeaux.

L’aïeule s’assit sur son séant. Depuis la veille elle semblait vieillie de dix ans.

Victoire retira du paquet une robe de laine sombre, dont l’étoffe, amincie par le temps, était devenue presque transparente, mais gardait un aspect de propreté.

L’aïeule s’en revêtit et sortit de son grabat.

Quand elle fut habillée, elle se mit à genoux afin de réciter sa prière quotidienne ; mais sa mémoire égarée la trompait, et parmi les paroles latines de l’oraison, elle disait, la pauvre femme :

— Il faut bien que je le voie !… Mon Dieu, faites qu’il ne chasse pas sa mère !

Elle ne voulut pas dire à Victoire où elle allait ainsi, parée de ses habits des grands jours.

Elle sortit sans prononcer un mot.

L’idiot Geignolet la suivit jusque sur les marches de l’escalier en chantant. Puis, il revint se placer contre la fenêtre et souleva un coin de la toile, pour fixer ses yeux hagards sur les croisées de Hans Dorn.