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cas pouvait se présenter où l’on serait heureux encore d’entrer dans le coupe-gorge d’Araby.

Un joueur a-t-il jamais dénoncé le tripot qui changea son aisance en misère ?…

Les pauvres emprunteurs ressemblent en ceci aux amants malheureux de la roulette : ils menacent, ils trépignent, ils tempêtent ; mais ils n’ont garde de se venger.

D’ailleurs, il y avait une croyance commune parmi les marchands du Temple. On eût regardé comme inutile de signaler à la police le commerce clandestin du bonhomme Araby. Chacun pensait que la police n’ignorait rien à ce sujet, et que le vieil usurier payait aux agents chargés de surveiller le marché quelque mystérieuse patente.

Pour ces causes ou pour d’autres, il menait son trafic bien tranquillement. Les agents n’approchaient jamais de son trou, que les emprunteurs encombraient sans cesse.

C’était vers la boutique d’Araby que se dirigeait la jolie Gertraud, en sortant de la maison de son père.

La boutique n’était point ouverte encore ; les auvents fermés présentaient leurs planches vermoulues, reliées par des crampons mangés de rouille.

Gertraud y frappa deux ou trois petits coups avec ses doigts.

— Qui est là ? demanda une voix faible à l’intérieur.

— C’est moi, Gertraud.

— Oh ! ma bonne demoiselle, merci, merci ! dit la voix avec un accent joyeux ; — attendez un peu, je vais vous ouvrir.

Il se fit un bruit confus derrière les planches comme si une main trop faible eût essayé d’ébranler les lourds crampons. Enfin une planche céda, livrant un étroit passage.

Gertraud entra.

Elle se trouva dans la petite chambre carrée, où le jour sombre du péristyle avait pénétré devant elle.

Il y avait là un être humain, un pauvre enfant maigre et pâle, qui était la domestique d’Araby.

Les quelques pieds carrés de l’antichambre formaient toute sa de-