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C’était un enfant rêveur. Sa vie, errante et solitaire au milieu de la foule, augmentait son penchant à la méditation. Dans les chants que disait son pauvre instrument, il écoutait de pures mélodies. Dieu l’avait fait musicien et poëte, non pas de ceux qui produisent mais de ceux qui sentent.

Il songeait, il aimait, et le secret de sa mélancolie n’était qu’à lui.

Gertraud s’était accoutumée à le voir souvent à sa fenêtre. Il était beau ; son sourire intelligent et doux allait au cœur. Quand Gertraud était tout enfant, elle s’en souvenait bien, Jean Regnault s’arrêtait dans la cour pour lui jouer des chansons et lui montrer les petits hommes de cuivre qui valsaient en mesure sur la table de son orgue.

Il était complaisant et bon. Tout ce qu’elle voulait il le faisait, et il obéissait en esclave à ses tyrannies enfantines. En ce temps, il la caressait.

Plus tard, il n’osa plus.

Quand il passait dans la cour maintenant, il ôtait sa casquette à Gertraud comme à une dame ; il rougissait rien qu’à la voir, et il s’esquivait dès qu’il l’avait vue. Pour la contempler de sa fenêtre, il se cachait derrière le lambeau de toile quadrillée qui lui servait de rideau.

Pour qu’il revînt, il fallut que Gertraud le rappelât elle-même. Un jour elle lui dit :

— Jean, vous ne m’aimez donc plus !…

Le pauvre joueur d’orgue eut envie de pleurer, mais c’était de joie. À dater de ce moment, il redevint brave, il ne se cacha plus pour regarder Gertraud. Quand il rentrait après sa journée quotidienne, il jouait un petit air dans la cour, et Gertraud, attentive à ce signal, s’empressait d’accourir. On échangeait quelques bonnes paroles ; on parlait vaguement de l’avenir qui pouvait amener bien du bonheur.

Jean Regnault oubliait son présent triste, et il souriait à l’espoir.

Dans ces furtifs rendez-vous, on ne parlait guère d’amour. Les deux enfants n’avaient point souci de donner un nom à ce qu’ils ressentaient ; ils s’aimaient sans se le dire, et ils s’aimaient chaque jour davantage.

Plus Gertraud voyait Jean malheureux et trop faible pour éloigner le besoin de sa pauvre maison, plus elle le chérissait. Jean devinait cela ; sa tendresse à lui s’imprégnait de profonde gratitude. Gertraud lui parlait