Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hans habitait d’un côté de la cour et la famille Regnault de l’autre. Hans avait un appartement composé de plusieurs pièces et annonçant une espèce d’aisance ; les Regnault n’avaient qu’une seule chambre, pauvre et misérable réduit où couchaient à la fois la vieille femme, Victoire, sa bru, et son petit-fils Geignolet, l’idiot. Jean Regnault, le joueur d’orgue, se retirait dans un petit trou attenant à la pièce principale et dont la croisée donnait sur la cour.

Quand Jean Regnault ne courait pas la ville, le corps courbé en deux sous sa lourde manivelle, il restait accoudé contre l’appui de son étroite fenêtre, et laissait aller son regard au-devant de lui.

Les heures pouvaient passer sans que la direction du regard de Jean changeât, parce que la croisée de la jolie Gertraud était juste en face de la sienne.

Et Jean Regnault aimait tant la jolie Gertraud !

C’était un brave enfant, au cœur franc et honnête. Il avait pour son aïeule et pour sa mère, dont il savait mesurer la souffrance, un dévouement plein de respect et d’amour. Il aimait Joseph, dit Geignolet, son pauvre frère, à qui Dieu avait refusé l’intelligence ; il serait mort à la tâche volontiers pour procurer à ces trois êtres chers un peu de bonheur ici-bas. Mais sa pensée était à Gertraud. Il adorait Gertraud de tout cet amour naïf et profond qui n’échauffe l’âme qu’une fois en la vie, et dont on se souvient jusqu’aux jours de la vieillesse.

Il l’avait aimée, enfant, sans savoir, et comme l’on respire. Elle était si bonne et si jolie ! Sa petite main cachait si discrètement l’aumône offerte au malheur, tandis que sa joue venait plus rose, et que des larmes émues souriaient dans ses yeux !

Jean Regnault voyait tout cela de sa fenêtre. Il ne faisait point l’aumône, lui, car il était bien pauvre, mais il enviait Gertraud, qui descendait chaque fois qu’un mendiant se présentait dans la cour.

Hans Dorn et sa fille étaient de braves gens, doux à la misère et secourables autant que le permettait leur médiocre aisance.

Chaque fois qu’elle donnait, Gertraud semblait si heureuse ! Quand le joueur d’orgue s’en allait dans la ville, il emportait avec lui tout au fond de son cœur la pensée de la belle jeune fille.