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entassait Paris tout entier dans sa salle et menaçait ruine sous le galop fanatique de trois mille débardeurs.

C’est à peine si l’on pouvait se mouvoir dans le foyer trop étroit. La foule ondulait, compacte et serrée, et jetait dans la lourde atmosphère son murmure confus, formé de chuchotements, de petits cris de femmes et de gros éclats de rire.

Au beau milieu de la presse, il y avait un couple qui se frayait passage de son mieux et semblait chercher des compagnons perdus. C’était un grand jeune homme aux traits réguliers et doux, portant sur un pantalon à la hussarde le frac d’officier de marine. Il semblait avoir vingt-cinq ou vingt-six ans. Son visage, animé par le plaisir, exprimait la franchise, et une sorte de faiblesse, non point cette faiblesse qui a peur, mais celle qui se laisse entraîner à tout vent, qui croit trop vite et que l’on trompe.

Il était beau ; son sourire avait de la noblesse et du charme ; son cœur prompt à aimer, sincère et trop facile, se peignait dans la douceur de son regard.

C’était le jeune vicomte Julien d’Audemer, enseigne de vaisseau en congé, qui était arrivé à Paris depuis quelques heures seulement, — et qui avait soupé.

Il donnait le bras à un page masqué de velours, qui semblait trop grand pour être une femme et trop gracieux pour être un homme.

— C’est entendu, disait le vicomte en tâchant de voir par-dessus les têtes de ses voisins. Je vous servirai de témoin, Franz, puisque vous ne voulez pas me laisser mettre ce misérable coquin à la raison… Au demeurant, vous êtes plus jeune que moi, mais vous en savez aussi long que personne, et vous passez comme une anguille là où je suis embarrassé. Mais où diable se sont cachées nos dames ?

— Je les voyais encore tout à l’heure, répondit Franz, quand ce grand gaillard en costume allemand s’est mis entre elles et nous… Avez-vous remarqué comme il me regardait, Julien ?

— J’ai remarqué qu’il serrait de près mon domino bleu, répondit l’enseigne. Je voudrais parier qu’ils sont gens de connaissance. Mais je sais flairer les jolies femmes, moi… Celle-là est charmante et je la soufflerais au roi !