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L’amour avait brisé patiemment sa volonté ; la passion avait mis dix ans à le faire esclave, dix ans de luttes navrantes et de batailles sans merci, dix ans qui pesaient sur sa tête comme un demi-siècle !

Il avait résisté, il avait été fort ; mais sa force s’était usée à un frottement sans trêve, et l’attaque obstinée avait dompté sa résistance.

Ce n’était plus qu’un cœur débile dans un corps appauvri, et sa souffrance physique, qui faisait compassion au monde, n’était que le signe extérieur de son supplice moral.

Il se tut. Petite jeta son peignoir et vint se mettre devant la glace pour serrer son corset.

M. de Laurens souffrait le martyre. Sa face tiraillée grimaçait horriblement, et, parmi les secousses convulsives imprimées à chacun de ses muscles, il gardait toujours le silence. Son regard seul disait toute sa détresse.

Les doigts déliés de Petite tiraient prestement le lacet de soie de son corset. Sa taille se dessinait à chaque instant plus souple et plus fine. Quand le dernier œillet se fut tendu sous la pression de sa main, elle passa la robe choisie et s’efforça de l’agrafer par derrière.

M. de Laurens se sentait perdre le souffle. Il se leva, chancelant, et voulut échapper à cette scène qui le faisait mourir.

— Restez, Léon, restez, dit Petite ; j’ai besoin de vous, mon ami.

— Madame, murmura M. de Laurens d’une voix éteinte, épargnez-moi !… vous voyez ce que je souffre !…

— Quel enfantillage ! s’écria Petite avec son plus gracieux sourire ; — réfléchissez, Léon !… les domestiques sont indiscrets… si je sonne ma femme de chambre, tout Paris saura demain notre secret…

Elle appuya sur le mot notre avec une affectation impitoyable.

L’agent de change s’arrêta indécis.

— Venez m’aider, reprit Sara ; je ne puis agrafer cette maudite robe, et mes doigts me font mal…

Laurens, pâle comme un mort, s’approcha d’elle. Le monde le croyait heureux, et il attachait à cette croyance un prix inestimable. Le bonheur qu’on lui supposait eût été si grand dans la réalité, que le semblant même lui en était plus cher que la vie.