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Il eût été difficile de trouver une tête plus délicieuse sur un corps plus charmant. Mais la beauté de Lia n’était pas tout entière dans ses perfections extérieures. La pensée brillait sur son front. À travers ses rares sourires, on voyait son cœur bon et sincère. Son âme, qui vivait de tout ce qui est pur et noble, envoyait à ses traits comme un reflet rayonnant.

Si jeune, elle avait déjà des souvenirs sans doute, car ses doigts arrêtaient parfois sa tâche commencée, et le poids de sa tête qui rêvait inclinait son cou gracieux. Sa paupière se baissait alors ; et un peu de pâleur remplaçait l’incarnat léger de sa joue…

Un peintre, un poëte plutôt, l’eût choisie pour décrire ce souffle vague qui trouble pour la première fois la conscience de la vierge, ce premier vent de la mélancolie, ce fardeau inconnu qui vient peser à l’improviste sur les jeunes fronts attristés.

Quand Sara interrompit un instant sa lecture, son regard, après avoir porté une caresse à M. de Laurens, glissait parfois jusqu’à sa jeune sœur. En ces moments, l’œil noir de Petite avait comme un aiguillon méchant, et quelque chose de perfide se mêlait à son sourire.

Lia ne la voyait point. Elle ne voyait rien. L’entretien de l’agent de change et d’Esther passait autour de ses oreilles comme un murmure vain.

Elle causait avec son cœur, et son cœur ne disait qu’un nom.

Une fois déjà, nous nous sommes arrêtés pour jeter un coup d’œil sur la belle jeune fille. Si nous plaçons ici son portrait, ce n’est pas qu’elle soit pour le lecteur une inconnue.

Mais, au Temple, elle ne faisait que passer, mystérieuse et craintive. À peine avons-nous eu le temps de l’entrevoir…

Lia était la jeune fille du remise, que nous avons trouvée dans la boutique de madame Batailleur.

Elle avait un secret. Sara ne l’aimait pas, et madame Batailleur êtait la créature de Sara…

Au milieu de la chambre, une table de jeu ouverte supportait un trictrac. M. le chevalier de Reinhold jouait avec le docteur Mira.

Le jeune M. Abel de Geldberg regardait la partie d’un air ennuyé.

Ce jeune gentilhomme était le second enfant de Mosès Geld. Il entrait dans sa vingt-huitième année.