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saient en de suaves contours, sa grâce était celle de la première jeunesse.

Au Temple, vous eussiez jugé qu’elle côtoyait ces limites néfastes où la femme trébuche au seuil de sa trentième année ; ici, vous l’eussiez prise pour une enfant, connaissant l’amour d’hier et ne sachant pas éteindre encore la flamme imprudente de sa prunelle.

Elle tenait à la main un livre, et faisait, à voix basse, une lecture à son vieux père.

Derrière elle, un homme d’une quarantaine d’années causait avec Esther, la seconde fille de Mosès Geld.

Cet homme était d’apparence débile ; il avait la souffrance peinte sur le visage, et des tics nerveux agitaient fréquemment la peau décolorée de sa face.

Quand ses traits demeuraient au repos, sa figure était belle et portait un cachet de distinction ; mais ces moments de calme étaient bien rares, et, le plus souvent, il grimaçait, impuissant à repousser de brusques secousses névralgiques.

Tout en causant avec la comtesse, il jetait de fréquents regards vers Sara, laquelle lui rendait ses œillades, et arrêtait parfois sa lecture pour lui abandonner sa blanche main.

Cet homme était l’agent de change Léon de Laurens, marié à la fille aînée de M. de Geldberg.

Le vieux Moïse éprouvait un plaisir évident à les contempler tous deux. Quand leurs mains s’unissaient, il souriait, et quand Sara reprenait sa lecture interrompue, il faisait à son gendre un petit signe heureux. Sara était la plus aimée de ses filles ; il l’appelait Petite comme aux jours de son enfance, et toute la famille, imitant cet usage, gardait ce doux sobriquet à madame de Laurens.

Au signe du vieillard, l’agent de change répondait par un sourire silencieux ; Moïse n’y voyait que du bonheur.

Dans ce sourire, il y avait pourtant de la tristesse, une tristesse contenue, mais mortelle.

On y lisait cette torture patiente et en vain combattue de l’homme qui n’a plus d’espoir.

Ceux qui le voyaient ainsi avec sa femme, les mains unies et les regards