Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La porte se referma derrière lui, tandis qu’il gagnait la pièce vide qui donnait de plain-pied sur la Judengasse.

Au bout de quelques minutes, un bruit de chevaux se fit dans la rue. Trois cavaliers s’arrêtèrent devant le pignon ; c’était M. le chevalier de Regnault, le Hongrois Yanos Georgyi et un domestique, conduisant un cheval destiné à maître Mosès.

— En selle ! s’écria M. de Regnault sans mettre pied à terre. — Dépéchons-nous, ami Geld, nous avons une longue route à faire… Et il me semble avoir vu tout à l’heure au bout de la rue une figure qu’il ne me plairait point de rencontrer deux fois…

Le juif enfourcha gauchement son cheval, et la vieille Rebecca dressa les planches pourries qui fermaient la boutique au dehors. — Bien des habitués de la Judengasse durent se demander ce matin pourquoi Mosès Geld avait clos son travail de si bonne heure, un jour qui n’était point la veille du sabbat.

Nos trois compagnons se mirent en route. — Le Madgyar ouvrait la marche. C’était un admirable cavalier, fièrement en selle, et portant comme il faut son belliqueux costume. — Plus d’une Rachel et plus d’une Judith se retournaient pour voir sa mâle figure. Quelque Salomé trop sensible suspendait son cœur aux crocs soyeux de sa moustache.

Derrière lui marchait M. le chevalier de Regnault, vêtu à la dernière mode de France : habit flamme d’enfer à gigots extravagants, à revers arrondis et gauffrés, à basques minces tombant en queue de poisson ; pantalon à plis gonflé comme un ballon et fixé sous la botte par d’étroites lanières de cuir ; cravate noire formant une rosette énorme, chapeau trois-pour-cent, cheveux Charles X collés sur la tempe, et favoris taillés à la Guiche.

On eût dit une planche du journal des Tailleurs de l’année 1824. Les filles d’Israël avaient bien aussi pour lui quelques regards ; mais c’était peu de chose, et il ne récoltait que les restes du seigneur Yanos.

Le juif marchait le dernier, enveloppé dans sa houppelande, et le visage perdu sous les bords amollis d’un vieux feutre, qui remplaçait son bonnet fourré dans les grandes occasions.

M. de Regnault, durant les premiers pas, jetait fréquemment à droite