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À Paris, les gens domiciliés aux deux extrémités d’une place de cette étendue s’ignorent aussi parfaitement que si la mer était entre eux.

Une fois au bout de la rue de Beaujolais, le baron de Rodach sentit diminuer son espoir. Il ne savait plus où diriger ses efforts. Peut-être Hans Dorn avait-il quitté le Temple ; peut-être n’était-il plus à Paris ; il y était mort peut-être…

L’idée lui vint tout de suite de s’adresser aux nombreux cabarets qui entourent le marché ; mais il connaissait l’ancien page de Bluthaupt, nature distinguée et fière, qui ne pouvait avoir pris que les vertus de l’état social où le sort l’avait placé. Rodach devinait que le cabaret n’était point la retraite favorite de Hans. Néanmoins il résolut à faire le tour des bouchons voisins.

— La première figure allemande que je rencontrerai, se dit-il, je prendrai langue et j’aurai bien vite des nouvelles.

Il s’arrêta devant le marchand de vins qui fait le coin de la rue Forez, le Camp de la Louppe. Il y vit des femmes ivres et se réjouissant avec ces fafioteurs, qui sont la terreur de la Courtille.

Car le Temple a ses forts ni plus ni moins que la Halle, et l’on cite deux frères, négociants en savates de la Forêt Noire, dont la vaillance est si exagérée, qu’ils se mettent réciproquement la mâchoire en compote, les jours où ils ne trouvent point d’étrangers à casser.

Parmi ces figures rougies et brutales qui entouraient le comptoir, Rodach ne vit personne à sa convenance. Il passa outre, et après avoir donné un coup d’œil à deux ou trois bouges inconnus, il arriva devant l’illustre devanture des Deux Lions, sous le péristyle de la Rotonde.

Le Tortoni du Temple était au grand complet. L’aristocratie du marché s’y pressait comme toujours. Malgré le jour et l’heure on y causait d’affaires ; des vieux habits circulaient de mains en mains et se vendaient dix fois avant d’arriver à leur propriétaire définitif.

La plupart des marchands de vin du Temple sont prêteurs, en même temps que cabaretiers. Ce que nous avons recueilli sur le taux de l’intérêt en usage dépasse toutes les limites du croyable et sera relaté autre part.

Le baron passa encore, augurant qu’il serait mal venu au milieu de cette foule affairée. Il vit l’Éléphant, le Lion d’Or, les Deux Boules et