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L’enthousiasme de Hans tomba, son front animé redevint pâle.

— Fou que je suis ! murmura-t-il avec un sourire triste… Buvez, mes compagnons, et ne me demandez point à partager mes chimères… J’ai vu aujourd’hui un beau jeune homme qui m’a rappelé la comtesse Margarethe, voilà tout… Jamais fils ne ressembla si parfaitement à sa mère, c’est vrai… mais alors même que ce bel enfant serait mon petit Gunther, faudrait-il se réjouir ?

— Nous sommes là une douzaine, dit Hermann avec chaleur, — et nous avons de bons bras… l’enfant ne manquerait de rien.

— Merci pour ce mot là, voisin Hermann ! répliqua Hans ; si jamais vous avez besoin d’un ami, frappez à ma porte… mais nos bras ne peuvent rien pour l’enfant dont je parle, ajouta-t-il avec sa tristesse revenue. Dans quelques heures tout sera dit pour lui peut-être… D’ailleurs nous serions de pauvres soutiens pour le fils des comtes… ses protecteurs naturels ne sont plus là ; les lourdes portes de la prison de Francfort se ferment entre les bâtards et la liberté.

Il secoua la tête et tendit son verre à Johann ; celui-ci versa dedans le reste de la dernière bouteille et sortit pour descendre à la cave.

Un moment de silence suivit le départ du cabaretier. Hans avait la tête basse et oubliait son verre dans sa main.

— Folie ! folie ! s’écria-t-il enfin avec une sorte d’emportement. — Les fils d’Ulrich ne sortiront jamais des cachots de l’Autriche… Qu’importe que l’enfant vive ou qu’il meure !

Il leva son verre. Au moment où il l’approchait de sa lèvre, un doigt toucha son épaule par derrière. Il se retourna et bondit sur ses pieds.

Il y avait là un homme que personne n’avait vu entrer. C’était un cavalier de grande taille, enveloppé d’un manteau poudreux et coiffé d’un large chapeau.

Sous ce chapeau apparaissait une figure pâle qui s’était montrée quelques minutes auparavant aux carreaux de la fenêtre.

Un nom vint à la lèvre de Hans stupéfait, mais il ne le prononça point, parce que l’étranger lui imposa silence d’un geste impérieux, et lui fit signe de le suivre…