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Ceci fut prononcé d’une voix qui voulait affecter un mépris digne et calme ; mais l’émotion perçait, l’émotion et la colère.

Le pauvre Franz n’avait point ce qu’il fallait de sang-froid pour saisir ces nuances. Il ne vit que le mépris, et sa détresse augmenta.

Cependant il ne bougea point.

Les sourcils de Denise se froncèrent légèrement, et son pied mignon battit le trottoir.

C’était une très-jeune fille, grande et un peu frêle, dont la taille avait ces contours déliés que le burin anglais aime à reproduire. Ses mouvements avaient une grâce exquise et digne que nous appellerions distinction, si le mot n’était flétri dès longtemps par l’abus populaire. Sa mise était simple dans son élégance. Au demi-jour des réverbères, on distinguait vaguement la finesse extrême de ses traits.

Il y avait une chose bizarre. Sa beauté ressemblait à la beauté de Franz. C’étaient presque les mêmes contours, la même douceur dans le sourire, la même intelligence, brillant dans de grands yeux d’un azur pareil. Seulement une expression de réserve noble remplaçait chez la jeune fille, l’air mutin et déterminé de l’adolescent. Ceci d’ordinaire ; mais, en ce moment, la médaille était retournée. Franz, les yeux baissés, le rouge au front, avait pris pour lui toute la timidité : Denise, au contraire, avait l’œil impérieux, et le dépit fier contractait la courbe pure de ses sourcils.

Sa colère lui allait à ravir. Il était impossible de rêver une tête plus charmante sur un corps plus gracieux.

Dans le demi-jour qui tombait des lanternes fumeuses, quiconque eût remarqué le tête-à-tête de ces deux beaux enfants les aurait pris pour le frère et la sœur.

Denise s’irritait de plus en plus, et son sein soulevait la soie de son camail :

— Laissez-moi passer, répéta-t-elle, ou je vais appeler à mon secours !

Puis elle ajouta presque aussitôt avec un dédain amer :

— Je vous regardais comme un homme, monsieur, et je vous croyais de l’honneur… Vous me punissez bien cruellement de ma méprise.

C’étaient autant de coups de massue qui tombaient sur le cœur du pauvre Franz.