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Sa mère avait oublié Franz. Elle le regardait, et ses yeux s’étaient de nouveau emplis de larmes.

— J’irai, marmottait la vieille femme. — Mon Dieu ! moi qui l’aimais tant, aurais-je pu penser jamais que la pensée de le voir m’aurait faits si grand’peur !… mais c’est qu’il me chassera peut-être, et alors il sera damné !…

Ses mains ridées tremblèrent.

— Et c’est moi qui en serai cause ! ajouta-t-elle en frémissant.

— Madame Regnault ! cria une voix dans l’échoppe voisine, fermez ou vous aurez l’amende.

La vieille femme se leva.

— Voilà plus de trente ans que je suis ici, dit-elle ; c’est peut-être mon dernier jour… mais il faut faire son devoir.

Elle prit entre ses bras faibles un des lourds volets qui servaient de fermeture. Victoire vint à son aide ; mais l’idiot ne bougea pas.

Il battait son banc sans relâche et disait par intervalle :

— J’ai grand’faim !

Franz souffrait au contact de cette affreuse détresse. Il avait glissé ses doigts dans son gilet et tenait à la main son unique écu de cinq francs ; mais il ne savait pas comment le donner.

— Monsieur, dit Victoire qui l’aperçut en ce moment, je vous répète que nous ne pouvons traiter d’affaires ce soir… Si vous êtes pressé, allez dans cette maison que vous voyez sur la place de la Rotonde, et demandez Hans Dorn, le marchand d’habits… Rangez-vous, je vous prie, afin que je ferme la porte.

Franz demeurait immobile et roide comme un terme. Il se rangea pour obéir au dernier mot de Victoire ; mais, au lieu de se retirer, il entra brusquement dans la baraque et mit sa pièce de cinq francs sur le banc au-devant de l’idiot.

Cela fait, il s’enfuit.

Geignolet poussa un hurlement de joie et se mit à faire rouler sur le sol la pièce de cinq francs, qu’il suivait en rampant sur ses pieds et sur ses mains.

Franz était déjà devant la maison du marchand d’habits Hans Dorn.