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— Jean va revenir, mon pauvre enfant, dit-elle, et tu auras à manger.

La vieille avait joint ses deux mains ridées, et marmottait entre ses dents des paroles presque inintelligibles.

— Je l’ai vu encore aujourd’hui, disait-elle ; il est bien changé ; mais mon cœur le reconnait… Avec l’argent qu’il dépense en un jour, ces pauvres enfants seraient heureux une année… Oh ! j’irai vers lui, à la fin, il le faut ! il le faut !

La vieille s’appelait madame Regnault. C’était la doyenne du Temple. L’autre femme, qui était sa bru, avait nom Victoire. Elle était la mère de l’idiot qui se nommait Joseph, et que les gamins du marché avaient surnommé Geignolet, par une sorte d’onomatopée peignant à la fois son apparence chétive et sa voix larmoyante.

Joseph Regnault, ou Geignolet, était imbécile de naissance.

Franz, cependant, restait planté sur le seuil, le rouge au front et la bouche béante.

— Monsieur, lui dit Victoire, la cloche sonne pour la fermeture du Temple, et il ne nous est pas possible de vous rien acheter en ce moment.

— Oh ! s’écria l’idiot, qui se prit à rire, ce n’est pas parce que la cloche sonne… Maman Regnault n’a pas d’argent… Nib ! nib ! nib !

— Joseph !… Joseph ! murmura Victoire avec un accent de tendresse et de reproche.

L’idiot frappa sur son banc, comme si c’eût été un cheval.

— Hue ! reprit-il. — Hue ! bourrique !…

Il se mit à chanter tout à coup sur un air bizarre qu’il avait trouvé seul :

C’est demain lundi,
Et maman Regnault n’a pas trente-trois sous
Pour payer sa place ;
On va nous mettre sur le pavé
Pour notre mardi gras ;
Sur le pavé, sur le pavé ;
La bonne aventure, oh ! gué !

Il s’interrompit pour battre son tréteau et crier à tue-tête ;

— Hue ! bourrique !…