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— Faites boire cet homme, dit-il au valet.

Fritz, en redescendant l’escalier, entendit le cliquetis des sabres qui reprenaient leur danse, comme si rien n’eût été. — Il but une seconde cruche de vin du Rhin et sortit pour achever sa tâche.

À partir du Rœmer, il s’enfonça de plus en plus dans la vieille ville. À chaque pas, les maisons se rapprochaient ; le ruisseau boueux gagnait en largeur ce que perdait la rue.

Fritz approchait de la Judengasse et des ruelles environnantes, qui composent la cité des Israélites à Francfort-sur-le-Mein. Il ne savait plus trop de quel côté diriger sa route. Tout ici se ressemblait. Des deux côtés de la voie fangeuse, deux longues lignes de maisons, quatre ou cinq fois séculaires, inclinaient leurs toitures dentelées, et ne laissaient voir qu’une étroite bande du ciel.

Il régnait dans ces passages obscurs un air lourd et chargé de méphitiques vapeurs. On entendait de toutes parts ce bourdonnement de ruches qui emplit le vieux quartier juif, depuis le lever du jour jusqu’à la nuit tombée. C’était le long de la chaussée humide, un mouvement continu, mais discret, une activité qui semblait craindre le bruit.

On eût dit que ces antiques masures parlaient encore à leurs habitants des persécutions du moyen âge. On eût dit que toute cette populace affairée se souvenait des siècles écoulés et des tortures subies par ses pères.

Fritz marchait entre ces maisons de bois demi-ruinées, qui penchaient uniformément au-dessus de sa tête les bizarres irrégularités de leurs façades. Il ne se reconnaissait point, parmi ces boutiques indigentes, étalant de rares débris sur leurs montres vermoulues.

Le mouvement incessant qui se faisait autour de lui l’étourdissait ; des flots de passants se mêlaient avec une activité silencieuse. — Quelques équipages brillants sillonnaient le pavé sale, et s’arrêtaient devant les échoppes dont l’étalage entier ne valait pas un florin. — On entrait, on sortait. — Au fond de quelque noire retraite, on entendait la musique de l’or remué à pleines mains.

Il passait là des gens venus des quatre parties du globe. La ville juive malgré son aspect misérable, fait des affaires avec le monde entier. Vous