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coup dans la cour. Il n’entendit point la voix de la sentinelle s’interrompre brusquement au milieu d’un : Qui vive !

Otto lui entendait tout cela. Ses yeux se baissaient, son front était pâle, et les cartes tremblaient dans sa main.

De sa vie, Otto n’avait tremblé devant un péril menaçant sa propre tête.

Maître Blasius avait fort petit jeu ; sa partie entamée si glorieusement, se gâtait. Son adversaire tenait en main de quoi le battre à plates coutures.

Mais le destin d’une bataille est tout entier dans le génie des chefs ; la force brutale fut toujours vaincue par l’intelligence. Otto jetait ses cartes comme au hasard ; des gouttelettes de sueur perlaient sous les boucles de sa belle chevelure ; sa joue changeait de couleur à chaque instant, et il semblait sous l’empire d’un trouble extraordinaire.

Maître Blasius, absorbé dans ses laborieuses combinaisons, ne s’en apercevait point. Il profitait habilement de toutes les fautes de son partner, et il se débattait comme si son avenir eût dépendu des résultats de cette partie.

Quand il eut plié devant lui la dernière levée, il croisa ses bras sur sa poitrine et regarda Otto en face.

— L’avez-vous bien perdue par votre faute ! s’écria-t-il… Ah ! meinherr Otto, meinherr Otto !… il faut que soyez décidément bien amoureux !

Le bâtard ne répondit point ; ses yeux étaient fixes, son cou tendu, ses sourcils froncés convulsivement…

Le geôlier dut enfin prendre garde à ces symptômes étranges.

— Qu’avez-vous donc ? balbutia-t-il.

Otto ne répondit point encore. Il écoutait ; son âme entière était dans sa faculté d’ouïr.

Au moment où maître Blasius ouvrait la bouche pour renouveler sa question, deux cris lointains et modulés d’une façon particulière se firent entendre, à une seconde d’intervalle. Le visage d’Otto s’éclaira soudainement.

— Qu’est cela ? s’écria Blasius en se levant.

— Ce n’est rien, murmura le bâtard, — sinon que vous avez gagné