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chait le visage du jeune homme. Après tout, ce n’est peut-être pas un des fils du comte Ulrich…

Il s’était arrêté au milieu de la rue pour reprendre haleine. Les passants le coudoyaient à droite et à gauche, et, avec la bonhomie d’un Allemand de la vieille roche, il saluait tous ceux qui le heurtaient.

— D’ailleurs, se dit-il encore en poursuivant le cours de ses réflexions, — le comte Gunther et son intendant n’aiment pas beaucoup les visiteurs… Je crois bien que ceux-ci seraient encore plus mal venus que les autres au schloss de Bluthaupt !… Maître Zachœus m’a chargé d’un message ; le plus sûr est de l’accomplir.

Il quitta la Zeil, et se dirigea vers le quartier neuf de Wolgraben, dont les maisons peintes étalent sur la rue le luxe de leurs éclatantes couleurs.

Il s’arrêta devant la porte d’un charmant petit hôtel, enluminé, coquet, chatoyant, et ressemblant à une de ces jolies boîtes de carton glacé qui décorent l’étalage de nos confiseurs.

Il souleva un marteau de fonte dorée, et demanda au valet qui vint lui ouvrir :

— Monsieur le chevalier de Regnault ?

On l’introduisit dans un boudoir parfumé à toute outrance, où un jeune homme, vêtu d’une robe de soie à ramages, livrait des cheveux touffus et roides aux mains pommadées d’un coiffeur de Francfort.

Ce jeune homme, qui arrivait à la trentaine, était petit de taille. Il avait une physionomie souriante, et qui semblait s’efforcer d’être gracieuse. Ses traits ne manquaient pas de délicatesse. L’expression générale de son visage était une finesse mielleuse, sur laquelle s’attachait assez bien un masque de franchise étudiée. Ses manières voulaient évidemment être douces, et s’imprégner en même temps de distinction noble. — À cet égard, ses efforts n’étaient pas complètement vains. Aux yeux des gens qui n’y voyaient point trop clair, M. de Regnault pouvait passer pour un de ces caractères loyaux mais frivoles que l’étranger s’obstine à regarder comme les types les plus choisis du caractère français.

— Que veut ce brave homme ? demanda-t-il sans se retourner.

— Je viens du château de Bluthaupt, répondit Fritz.