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Ce fut pourtant vers cette partie des murailles que les trois fils du comte Ulrich se dirigèrent sans hésiter. — Ils s’engagèrent dans les broussailles qui croissaient aux flancs du ravin.

Arrivés au pied du roc, ils attachèrent leurs montures à des troncs de chênes de marais qui croisaient, au fond de ce trou, leurs branches chétives, et commencèrent à gravir la rampe pierreuse en s’aidant des pieds et des mains.

Nul œil n’était ouvert sur leur ascension nocturne, et si quelque passant avait contemplé, des bords du ravin, ces trois hommes suspendus au-dessus du vide, il les aurait regardés sans doute comme des insensés ; — ou bien encore il eût songé avec terreur aux bizarres légendes qui couraient sur la maison de Bluthaupt…

Après un quart d’heure d’efforts, les trois frères atteignirent un endroit où le roc surplombait. À moins d’avoir des ailes, il était matériellement impossible d’aller au delà.

Ils s’arrêtèrent d’un commun accord ; mais ils ne redescendirent point. — Otto disparut tout à coup, sans qu’on eût pu dire par où, — puis Albert, — puis Goëtz…

La rampe et le ravin devinrent solitaires.

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À l’intérieur du château de Bluthaupt, dans la chambre de la comtesse Margarethe, la nuit s’était écoulée lugubre et morne.

Hans et Gertraud étaient seuls désormais à écouter les cris de douleur de la jeune femme. — Le comte Gunther dormait, ramassé dans son grand fauteuil. — Le docteur José Mira, les pieds sur les chenets et le front entre ses mains, semblait absorbé par une méditation laborieuse.

Il ne se donnait plus la peine de répondre aux gémissements de l’accouchée, qui implorait Dieu d’une voix mourante, comme si elle n’eût rien espéré désormais de la pitié des hommes.

Le vent, étouffé par la neige, laissait muettes depuis longtemps les cordes colossales des harpes éoliennes. — Tout se taisait au dehors. — À de longs intervalles, le carillon enroué du beffroi s’éveillait et jetait tristement sa monotone musique. Les heures tombaient lentes, et laissaient de longues vibrations dans l’air.