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— Mais qui a donc détruit ce testament ? s’écria le poëte avec colère.

Et comme le jeune homme tardait à prendre la parole, tous répétèrent la même question.

— Notre sœur Margarethe, répondit enfin Otto, — est la femme du comte Gunther, notre oncle, qui nous méprise et nous déteste… elle est seule et sans défense dans ce vieux schloss de Bluthaupt où sa jeunesse est enfermée comme en un cercueil… Si vous saviez comme elle nous aimait, et que de joie il y avait au château de Rothe, lorsque nous étions réunis tous les cinq, Hélène, Margarethe et nous, à la table de notre père !… Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, et si je suis destiné à donner mon âme tout entière à une femme… ce que je sais, c’est que rien au monde, en ce moment, ne m’est cher à l’égal de ma sœur Margarethe !… Hélène est heureuse, et Margarethe souffre ; elle a droit à une part de tendresse plus grande, la pauvre enfant, que l’orgueil de notre race a condamnée au martyre ! — Mes frères et moi, nous sommes bannis, vous le savez, du château de Bluthaupt ; nous n’avons vu notre sœur qu’une seule fois et à la dérobée, depuis son mariage… Ce furent quelques instants de joie, mêlés de larmes. Nous retrouvions Margarethe pure et douce comme un ange ; mais Dieu avait cessé un instant de la protéger, et près de sa couche sainte veillait l’impur démon !

Otto s’interrompit. Une ride plissait son front pâle, et ses paupières étaient baissées.

Michaël, Dietrich et les autres camarades, assis autour de la table l’interrogeaient du regard où il y avait plus d’affection encore que de curiosité. — Ils avaient bien entendu parler vaguement du mystère qui pesait sur la vie du dernier comte de Bluthaupt ; mais c’étaient de confuses rumeurs qui passaient inaperçues dans la terre classique de la légende, où les raconteurs prennent soin de donner à toutes choses une apparence fantastique.

Otto, Albert et Goëtz avaient passé une année à l’université de Heidelberg, du vivant de leur père. — Ils étaient là, parmi cette jeunesse amoureuse de toutes les audaces, les plus joyeux, les plus francs et les plus braves.

On les aimait, on les imitait, nous dirions presque on leur obéissait.