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Mais c’était là le petit nombre. Le gros des camarades était bon tout au plus à rosser le guet, en hurlant des chants absurdes contre la France qui les plaint et qui les aime. — Non pas qu’il n’y eût dans toutes ces cervelles beaucoup de science et dans tous ces cœurs de chauds et généreux instincts de liberté, mais le droit sens avait subi chez la plupart une sorte de déviation par l’effet des subtilités bizarres de la dialectique à la mode dans les universités allemandes. Ils pensaient pour disputer, et la mise en scène dramatique était devenue pour eux un fait principal, dont leur libéralisme n’était, en quelque façon, que l’accessoire.

Leur courage se dépensait en dissertations loquaces. Ils étaient habitués à mettre l’emphatique parlage à la place de l’action. — Ils étaient braves assurément, et forts, et pleins de dévouement vrai à leur croyance. Mais ils dormaient.

Et chaque année qui passe alourdit désormais ce sommeil…

Maître Kopp avait enlevé, bien entendu, les tentures blanches qui donnaient tous les mardis à sa taverne un air coquet et virginal. Les murailles montraient aujourd’hui leur nudité noirâtre, où s’alignait un cordon de mauvais tableaux enfumés. — À part cet ornement douteux, on y voyait un grand nombre d’inscriptions savantes, tracées à la craie, et le portrait en pied de M. de Metternich, avec une corde au cou et des oreilles d’âne. — Dans l’un des angles de la salle, non loin de la petite estrade où l’arbiter elegantiarum tenait sa comptabilité à long terme, un carré de muraille, large de quelques pieds, était recouvert d’un rideau brun.

Au-dessus de ce rideau était écrit en allemand : Magasin de l’Honneur.

C’était l’arsenal des hommes libres, composant la Landsmannschaft de Heidelberg. Il y avait là une douzaine de ces longues épées à lame triangulaire et à coquille bombée, qui sont connues sous le nom de schlœger.

Ces armes n’étaient pas destinées, comme on pourrait le croire, à dépeupler les trônes et à fendre les fronts couronnés. Elles servaient uniquement à ces combats singuliers que les étudiants de toutes les universités d’Allemagne chérissent avec une enfantine passion, — duels bizarres et rarement malheureux, où les deux champions, caparaçonnés d’étoupes et de cuir, se donnent l’innocent plaisir de ferrailler jusqu’à perte d’ha-