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LA VAMPIRE

Et le carnaval était fini.

Ces chocs violents qui, selon la locution populaire, allument « trente-six mille chandelles », peuvent aussi évoquer d’autres fantasmagories.

Cependant non seulement René voyait, mais il entendait aussi, et ce qu’il entendait se rapportait merveilleusement à l’étrange mise en scène de son rêve.

Tous ces déguisements divers parlaient des langues différentes.

Bien que René ne connût point tous ces divers langages, il reconnaissait ce latin prononcé à la façon hongroise et qu’il avait remarqué déjà cette nuit, l’italien et l’allemand.

Tous ces idiomes parlaient de mort, et un : « Let us knock down the damned rascal !  » (Assommons le maudit drôle !) prononcé avec le pur bredouillement des cockneys de Londres fut comme le résumé de l’opinion générale.

La plume ne peut courir comme les événements. Il y eut un commencement d’exécution, arrêté par une nouvelle péripétie, tout cela dans le court espace de temps que nous avons dit.

L’Anglais parlait encore, brandissant un de ces fléaux faits de baleine, de cuir et de plomb que John Bull a baptisés self-preserver et auquel René devait sans doute le lâche coup qui l’avait terrassé ; le nègre, mettant un genou dans l’herbe, raccourcissait déjà le bras qui allait frapper, lorsqu’une voix de femme, sonore et douce, fit tressaillir le cœur de René dans sa poitrine.

Il ne vit point celle qui parlait, et pourtant il la reconnut, aux sons d’une voix qu’il n’avait jamais entendue.

Elle disait, tout près de lui, mais cachée par la cohue d’ombres étranges qui se pressaient alentour :

— Ne lui faites pas de mal : c’est lui !

VIII

LE NARCOTIQUE

À dater de cet instant, tout fut confusion et ténèbres dans cervelle de René. La blessure de sa tête rendit un élancement si violent, que le cœur lui manqua. Il crut voir une main qui saisissait la chevelure laineuse du nègre et qui le rejetait en arrière.