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Il se croyait poursuivi par le terrible Saint-Vallier…

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Non… Saint-Vallier n’était pas mort, mais il n’en valait guère mieux.

Au cri jeté par le gardien, au choc de la porte qui fut poussée violemment, au bruit des verrous, le jeune homme parut revenir à lui. Un frisson d’angoisse le secoua en entier, il se demandait pourquoi Pierre Darmontel n’était pas là !… Car dans la seconde où le cachot avait été éclairé par la lanterne du gardien, Saint-Vallier avait vu le lit défait, le cachot vide… et il lui avait même semblé qu’il avait aperçu du sang quelque part… c’était peut-être sur les couvertures du lit de camp ! De sa main droite il tâtonna le lit… oui, les draps étaient mouillés ! Était-ce du sang ?… L’obscurité ne lui permettait pas de voir !…

Il demeura un moment debout au milieu du cachot, immobile, sa tête dans les mains. Puis, comme s’il eût obéi à un nouvel instinct, il s’approcha de la trappe, se laissa glisser lentement au travers et s’en alla…

Bientôt il était dehors, dans l’air froid de la nuit, il suivait exactement le chemin qu’il avait parcouru de la demeure de M. Darmontel aux casernes ; sans le savoir il refaisait le même chemin. Il marchait très lentement, il s’arrêtait, respirait en râlant, repartait, titubait terriblement, hoquetait…

Et il parut surpris en se voyant au bout d’une demi-heure environ devant la porte de M. Darmontel. Sa tête tourna, il oscilla… pour ne pas tomber il se retint avec une énergie farouche au cadre de la porte. Puis d’une main tremblante il parvint à saisir le heurtoir… il n’eut pas la force de le soulever. Il laissa échapper ce nom en même temps qu’un sourd gémissement :

— Monsieur Darmontel !…

Il s’écrasa lourdement sur les dalles du portique.

Un cri de femme retentit à l’intérieur de la maison jusque-là silencieuse, des lumières brillèrent par les croisées et cinq minutes après M. Darmontel et deux serviteurs apparaissaient sur le portique et découvraient le corps sanglant et inanimé de Saint-Vallier.

Rapidement M. Darmontel donna des ordres brefs aux serviteurs qui soulevèrent avec précautions le corps sanglant et le transportèrent dans un salon.

Louise, à demi vêtue, folle de douleur, demeurait anéantie dans un fauteuil.

Saint-Vallier était là, les vêtements en lambeaux et tout souillés de sang, la poitrine percée de coups et couverte de sang coagulé, le corps rigide…

M. Darmontel, la gorge déchirée par un sanglot, murmura indistinctement, mais assez pour que Louise entendît :

— Pauvre garçon… il est mort !

Louise se dressa dans un bond, jeta un cri de folie, et tomba à la renverse sur le tapis du salon où elle demeura sans mouvement. Elle était évanouie…

M. Darmontel faillit perdre la tête…

Il jeta un juron sonore, appela d’une voix rude les deux femmes de service qui étaient couchées à l’étage supérieur, rudoya ses deux serviteurs pour la première fois, puis leur cria avec rage :

— Eh bien ! idiots que vous êtes, qu’attendez-vous pour aller chercher le chirurgien ?

L’un des serviteurs s’élança hors de la maison.

Il s’écoula trois quarts d’heure avant que le serviteur revînt amenant le vieux médecin français que nous connaissons. Pendant ce temps les deux femmes de chambre de Louise s’étaient occupées de la jeune fille qui, au bout de dix minutes, avait repris possession de ses sens. M. Darmontel et son autre domestique avaient transporté le corps inanimé et rigide de Saint-Vallier dans une chambre provisoire en attendant l’arrivée du médecin.

Malgré les ordres de son père Louise était revenue près de son fiancé.

Le vieux médecin français, aidé des femmes, avait lavé les plaies du jeune homme et appliqué des tampons sur les blessures d’où le sang s’était remis à couler. Il avait réussi à arrêter tout à fait l’hémorragie. Puis il avait déclaré à Louise et à son père, muets de consternation et de douleur, qu’il y avait encore un peu de vie dans le corps du jeune homme.

— Pour être vrai, ajouta-t-il, ce n’est qu’un souffle qui l’anime, un souffle qui peut s’éteindre de seconde en seconde !

Louise était désespérée, et renversée sur une bergère au chevet du lit, elle pleurait.

— Ainsi, demanda M. Darmontel au médecin, vous désespérez de le sauver ?

— Monsieur, je ne veux rien promettre. Une fois cette hémorragie arrêtée, je panserai les blessures qui sont affreuses et profondes et je ferai le nécessaire pour ranimer ce souffle que je devine !

Et le vieux médecin peu après se mit à l’œuvre.