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la mansarde qui servait de prison à Saint-Vallier.

Cette pièce était remplie de lits, de tables, de bancs, de matelas et autres objets qui avaient servi, dans le temps, aux élèves qui venaient étudier chez les Jésuites. Tous ces objets avaient été jetés là par les autorités militaires dans un pêle-mêle indescriptible. Rarement un être humain pénétrait là. À de rares intervalles un soldat de la caserne y venait chercher un matelas ou un autre objet quelconque dont il avait besoin.

Saint-Vallier grimpa sur une table après y avoir posé un escabeau, puis il monta sur cet escabeau et de ses deux mains souleva un étroit panneau dans le plafond.

Il appela à voix basse :

— Pierre !

L’instant d’après la voix de Pierre Darmontel demandait par le trou :

— C’est toi, Hector ?

— Oui, Pierre. Je t’ai fait attendre, n’est-ce pas ?

— Oh ! tu sais, j’ai dormi comme un prince ! Seulement, il est venu des intrus qui m’ont réveillé.

Tout en ce disant le jeune homme poussait de côté le lit de camp, et Saint-Vallier à la force des bras se hissait au travers de la trappe.

— Des intrus ? fit Saint-Vallier avec surprise en se dressant debout dans son cachot.

— Oui… je ne m’attendais pas à cette visite nocturne.

Et Pierre Darmontel raconta la visite de Buxton et de Foxham accompagnés du gardien de nuit.

— As-tu reconnu ces personnages ?

— Hélas ! non… L’un d’eux est venu me poser sa lanterne sous le nez. J’ai bien eu l’envie de lui demander le but de sa visite, et j’aurais pu savoir à qui j’avais affaire ; mais je n’ai pas osé. Sais-tu ce que j’ai pensé ? qu’on venait pour s’assurer si tu étais toujours dans ta prison.

— Je le pense aussi. Pierre. Je me méfie beaucoup de Foxham, et je ne serais pas étonné, s’il m’avait reconnu, qu’il chercherait à savoir comment je m’y prends pour sortir d’ici. Mais je suis bien tranquille tant qu’on n’aura pas surpris la ressemblance de traits et de taille que nous avons tous deux.

— Quant à moi, Hector, sois sûr que je ne me montrerai pas dans la ville tant que tu ne seras pas libéré par Haldimand.

— Ô Haldimand ! murmura Saint-Vallier avec un sombre défi, je ne redoute ni tes cachots ni tes sicaires ! Malgré ta puissance malgré la vigilance des esclaves qui te servent, ces cachots, nous les ouvrirons ! Nous rendrons la liberté à tous ces malheureux frères canadiens qui souffrent atrocement de ta tyrannie ! Et un jour, peut-être, ces mêmes cachots deviendront ton tombeau et celui de tous tes stipendiaires !

Puis le jeune homme fit un court compte-rendu de son aventure de la nuit.

L’instant d’après les deux frères de lait se séparaient : l’un, Darmontel, refaisait le chemin que venait de parcourir Saint-Vallier ; l’autre, se couchait à son tour et s’endormait profondément.


X

DURANT LE BAL


Le jeudi soir, 23 novembre de cette année 1780, le lieutenant-gouverneur du Canada donnait, en son Château Saint-Louis, un grand bal à l’aristocratie de la cité de Québec. La salle des audiences et l’immense salon qui y attenait — salon qui avait été agrandi et remodelé par le général Murray — étaient remplis d’une foule brillante dans laquelle dominait l’élément militaire. Le rouge écarlate des justaucorps, les dorures des épaulettes, les reflets des croix et des médailles, les étincellements des fourreaux d’épée et de sabre se mêlaient curieusement sous des gerbes de lumière puissantes, à l’éclatement des soies chatoyantes et des brocarts et aux scintillements des pierres précieuses dont était parée la gent féminine,

Peu de Canadiens assistaient à cette fête : on n’y remarquait que deux ou trois conseillers et quelques officiers et bourgeois qui n’avaient pu refuser l’invitation qui leur avait été faite par le lieutenant-gouverneur, sans s’exposer à nuire considérablement aux intérêts qu’ils défendaient.

Darmontel y était ainsi que sa fille Louise. Le commerçant, comme on s’en doute bien, avait une grande répugnance à assister à ces fêtes, mais il n’avait pu refuser d’y accompagner sa fille. Louise avait un intérêt puissant d’assister, ce soir-là, à ce bal du lieutenant-gouverneur, car elle voulait essayer de savoir en quelle prison on avait enfermé Du Calvet. La chose était très délicate. Comment s’y prendrait-elle ? Elle ne le savait pas, elle comptait beaucoup sur les circonstances.

Il était un peu après neuf heures lorsque Louise Darmontel et son père firent leur apparition dans le grand vestibule du Château, où se pressait une foule d’invités. L’entrée