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lier était parti pour l’Europe après avoir échangé des promesses avec Louise.

Elle était belle aussi, cette Louise, mais d’une beauté peut-être un peu grave. Elle avait été très chaleureusement accueillie dans la société de cette époque, puis vivement recherchée et courtisée. De jeunes Canadiens de bonne famille et de jeunes Anglais de la meilleure société avaient soupiré après sa main. Louise avait dû se soustraire courtoisement à cet entourage, pour la bonne raison qu’elle était fiancée. Mais l’un de ces jeunes Anglais avait été plus tenace que les autres : c’était le lieutenant Daniel Foxham. Mais un jour Louise s’était vue obligée de mettre un terme aux attentions trop empressées de Foxham. Très dépité, celui-ci avait cherché à savoir quel était l’heureux mortel sur qui la jeune fille avait jeté son dévolu. Quand il eut appris que ce mortel était Saint-Vallier, de ce jour il résolut de faire disparaître ce rival heureux. L’opportunité se présenta, lorsque le jeune Canadien, revenu d’Europe, commença d’élever une voix protestataire contre l’administration tyrannique du général Haldimand. Foxham fit tout en son pouvoir pour déchaîner contre le jeune audacieux les colères et les haines, jusqu’au jour où il fut chargé d’arrêter ce rival dont il avait souhaité la mort.

Disons que Foxham appartenait à une honnête famille de la bourgeoisie londonienne ; son père tenait à Londres un gros commerce de merceries, de sorte que Louise Darmontel, fille d’un commerçant en ferronneries, ne se trouvait donc pas d’un rang inférieur à celui du jeune anglais. Il s’était donc ardemment épris pour la belle canadienne, mais lorsqu’il se vit écarté sa jalousie devint si violente qu’il jura de se venger des dédains de la jeune canadienne en frappant son fiancé, Saint-Vallier.

L’arrestation du jeune homme avait porté un rude coup à Louise Darmontel, et sachant que le coup venait, pour une bonne part, de Foxham, elle avait résolu de changer de tactique vis-à-vis du lieutenant et de se servir de lui pour arracher Saint-Vallier à sa prison. Chaque fois qu’elle avait eu par après l’avantage de rencontrer le lieutenant, elle n’avait pas dédaigné de lui adresser le meilleur sourire. Foxham s’était remis à espérer. Puis Louise Darmontel, toujours dans le but de sauver Saint-Vallier, s’était liée d’amitié avec Miss Margaret Toller, une cousine de Foxham, âgée de vingt ans, assez jolie, mais que Foxham n’aimait pas à cause de ses cheveux trop roux, de son visage trop blanc veiné de bleu, de l’inélégance de sa démarche, et surtout à cause de ses bavardages. Car Miss Toller passait pour une véritable pie, elle disait tout ce qu’elle savait, et gare, paraît-il, à qui lui aurait confié un secret important ! Miss Toller aimait Foxham, beaucoup même, et lui se donnait l’air de la courtiser parce que son père, le major Gerald Toller, était l’un des plus puissants personnages de la « cour » d’Haldimand.

C’est donc par l’entremise de cette Margaret Toller que Louise avait pu apprendre l’endroit précis où Du Calvet avait été mis sous verrous. Naturellement, Miss Toller n'’avait nullement soupçonné les intentions de Louise Darmontel, de sorte que Foxham n’avait pu se douter comment et par quel jeu de circonstances le cachot de Du Calvet avait été découvert.

Pendant que Louise Darmontel évoquait ces anciens souvenirs de date non encore lointaine, Saint-Vallier reprit ses sens. En apercevant Louise à son chevet, il sourit doucement, puis tout comme s’il fût sorti d’un sommeil ordinaire, il se mit sur son séant et dit d’une voix à peine altérée :

— Ma chère Louise, je vous remercie de suite pour avoir pris soin de ma pauvre personne. Tout de même, le fameux bain que j’ai pris !

Et il se mit à rire.

— Ainsi donc, mon pauvre ami, dit la jeune fille très grave, vous avez échoué dans votre tentative ?

— Hélas, oui ! Du Calvet avait été enlevé de son cachot à bord du « Requin ».

Saint-Vallier narra son aventure.

— Et vous ne savez pas encore, demanda la jeune fille, en quel endroit le malheureux a été conduit et enfermé ?

— Non, Louise, je ne sais rien encore. Vous comprenez bien que je n’ai pas pris le temps de demander ce renseignement à Foxham. Comme vous le voyez, j’avais autre chose à faire. Je ne m’inquiétais pas beaucoup du sort de Du Calvet, parce que je supposais qu’il avait été transporté ailleurs, et que vous sauriez bien découvrir sa nouvelle prison.

— En effet, sourit la jeune fille, je saurai bien m’en informer.

— Ce n’est toujours pas Foxham qui vous donnera cette information, se mit à rire Saint-Vallier.

— Je prendrai celle-ci à la source où j’ai puisé la première.

Miss Toller ? demanda le jeune homme.

— Oui… elle sait tout ce qu’elle désire savoir.

— Comme elle dit tout ce qu’elle sait !