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LE SIÈGE DE QUÉBEC

court était survenu avec 250 miliciens et quelques matelots. L’armée française comptait, en comprenant un petit détachement de sauvages, en tout deux mille six cents hommes, et de ce nombre à peine quinze cents réguliers. Les historiens ne s’accordent pas encore là-dessus ; d’aucuns ont dit cinq mille hommes, d’autres quatre mille, d’autres trois mille… Mais il est facile, croyons-nous, d’aboutir à la presque certitude en se basant sur la désorganisation de l’armée après Montmorency. À ce moment, l’armée de Montcalm était forte de treize mille combattants, dont quatre mille réguliers. Or, Bougainville était allé prendre position au Cap-Rouge avec deux mille cinq cents hommes, dont mille réguliers. Vaudreuil avait dépêché Lévis, au commencement d’août, sur les frontières de la Nouvelle-Angleterre avec mille hommes, tous soldats de campagne. La garnison comptait en ce 13 septembre dix-huit cents hommes, miliciens et matelots. Trois mille miliciens environ avaient quitté Beauport et Montmorency pour aller sauver la moisson. Mille miliciens et trois cents réguliers étaient demeurés dans le camp de Beauport, ce matin du 13, sous les ordres de Vaudreuil. Et, enfin, cinq cents miliciens et quatre cents sauvages gardaient Montmorency, Ce qui, déduit des 13,000 hommes qui composaient originairement l’année, n’aurait laissé à Montcalm sur les Plaines qu’environ deux mille cinq cents combattants. Ce qui empêche d’arriver à une exactitude absolue, c’est qu’on ignore le nombre exact des forces gardées par M. de Vaudreuil à Beauport et à Montmorency. Mais une chose certaine, c’est que Montcalm n’a pu avoir sous ses ordres plus de trois mille hommes. Et si l’on tient compte que le général français n’avait que quinze cents réguliers à opposer aux cinq mille réguliers de Wolfe, si l’on compare l’armement inférieur des soldats français et des miliciens à celui de l’ennemi, sans compter l’avantage de la position en faveur des Anglais, on découvre que, de fait, l’armée de Montcalm se trouvait trois fois moindre en valeur militaire que celle de son adversaire.

Nous avons parlé de l’avantage de la position occupée par les Anglais ? Oui, ils avaient cet avantage. À un mille environ des murs de la cité, ils avaient pris position au milieu de bosquets qui les dérobaient en partie à la vue des Français, et au pied de tertres appelés « Les Buttes-à-Neveu ». L’armée ennemie avait à sa droite, pour s’y déployer selon les circonstances, des champs de maïs et d’orge. En cas de confusion elle y pourrait refaire ses rangs, protégée encore par de petites éminences qui s’élevaient en gradins vers la cité. Ces champs, à l’ouest, étaient bordés de buissons et de fourrés du sein desquels les tirailleurs anglais auraient pu empêcher tout mouvement en flanc tenté par la gauche de Montcalm. À l’est, l’armée anglaise gardait les pentes qui descendaient vers la rivière Saint-Charles, et sur leurs hauteurs elle avait élevé de petites redoutes en terre armées de petits canons et défendues par des Montagnards écossais, de sorte qu’elle se trouvait suffisamment protégée contre tout mouvement de troupes venues du camp de Beauport par la rivière Saint-Charles.

Seul son centre était susceptible de subir le plus dur choc, et être enfoncé et refoulé en bas des plateaux et vers des marais où l’ennemi aurait pu être cerné et taillé en pièces. Mais, comme nous l’avons dit, le centre anglais était protégé par les buttes, et avant que les Français n’eussent pu heurter les carrés de l’armée, celle-ci par un feu bien nourri aurait semé la confusion ou tout au moins arrêté l’élan des Français. Wolfe avait tout prévu cela, et sachant que Montcalm n’aurait à sa disposition qu’une armée beaucoup moindre que la sienne, il était sûr de la victoire. Cette certitude lui fit perdre la pensée d’une défaite éventuelle, car, advenant telle défaite, il lui aurait été impossible d’échapper à un désastre, il n’avait pas prévu une issue pour retraiter. Si Bougainville était arrivé à temps, il coupait à Wolfe le passage vers l’Anse au Foulon ; et si Vaudreuil eût été plus prévoyant, il aurait lancé des renforts vers les pentes de la rivière Saint-Charles, et Montcalm, ayant été appuyé par toute la garnison de la ville, aurait culbuté l’armée anglaise dans les marais qui s’étendaient, parsemés de broussailles, au pied des hauteurs dites « Plaines d’Abraham ». Oui, mais le sort allait être tout autre.

La confiance de Montcalm s’était trouvée fortement ébranlée en découvrant une armée aussi forte et aussi bien déployée. Mais son courage et sa vaillance prirent vite le dessus, soutenus par l’espoir de se voir bientôt secondé par les troupes de la garnison et les milices demeurées à Beauport. Il rassembla autour de lui les principaux officiers pour se concerter avec eux. Il y avait là Montreuil, son principal aide-de-camp, qui avec le général allait commander les réguliers ; Sénézergues, qui commandait les milices de Montréal ; Fontbonne, à la tête des milices des Trois-Rivières ; Saint-Ours avec les tirailleurs canadiens ; M. de Privas et le chevalier d’Herbin, ainsi que quelques autres officiers français et canadiens, entre autres le capitaine Jean Vaucourt. Notre ami Flambard était là aussi, mais à l’écart, examinant les positions de l’armée ennemie et supputant en lui-même les chances de succès de l’armée française. Montcalm l’ayant aperçu, le fit venir et lui demanda de se rendre auprès de M. de Vaudreuil pour l’exhorter à envoyer immédiatement des renforts de miliciens. Flambard partit immédiatement.

Montcalm et ses officiers décidèrent d’engager l’action en attendant l’arrivée de renforts du côté du Cap-Rouge et de celui de Beauport, car on était assuré de voir bientôt accourir les troupes de la garnison. Ensuite, les officiers français croyaient que l’armée ennemie n’avait pas terminé ses préparatifs et ses dispositions, et qu’il valait mieux l’attaquer immédiatement pour avoir tous les avantages d’une prompte offensive.

L’armée française, trop petite pour faire masse compacte contre l’armée de Wolfe, fut disposée en une seule ligne allant du chemin Sainte-Foye au chemin Saint-Louis et sur trois hommes de profondeur. Montcalm avait le centre composé de quinze cents réguliers des bataillons de la Sarre, Languedoc, Guyenne et Royal-Roussillon ; la droite fut confiée à Séné-