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LE SIÈGE DE QUÉBEC

venait-il pas de rapporter qu’ils étaient descendus à l’Anse au Foulon ? Et notre ami, inquiet, se demandait encore si le général Montcalm avait été informé de la descente des ennemis au Foulon.

— Oh ! gronda-t-il avec rage, nous sommes trahis… nous sommes trahis !

Et, prenant une résolution, il s’élança dans la direction du pont de la rivière Saint-Charles pour se rendre aux quartiers-généraux de Montcalm et le prévenir. Mais Flambard ne pourrait prévenir les coups du sort : il était trop tard !

L’heure de la catastrophe dernière était venue !

Les traîtres venaient de jouer l’une de leurs dernières cartes ; plus tard, le 17 septembre, ils jetteraient la dernière sur la table… ce serait le CONSUMMATUM EST !

Oui, au moment où, ce soir du 12 septembre, minuit allait sonner, un premier détachement de l’armée ennemie abordait l’Anse au Foulon, à deux petits milles seulement de la capitale de la Nouvelle-France. Wolfe avait, enfin, réussi à mettre en jeu les plans qu’il avait médités durant plusieurs jours sur les données de l’un de ses aides-de-camp, le capitaine Fraser. L’Anse au Foulon était devenue son obsession, et ce soir elle devenait son atout. Mais il faut dire que sans la trahison cet atout n’aurait point tourné le jeu à son avantage. Wolfe aurait donné dans un coupe-gorge : cent cinquante hommes vigilants et déterminés, deux cents au plus l’auraient empêché de prendre position sur les hauteurs de l’Anse, lui et ses hommes auraient trouvé, là, la mort. Pourtant il y avait bien là un poste de cent cinquante hommes ? Oui… mais il n’y avait pas de chef ! Le chef, Vergor, avait dit à ses soldats :

— Bah ! la nuit est noire et froide, rentrez sous vos tentes, amusez-vous, dormez, comme il vous plaira !

Il laissa un corps de garde de dix hommes auxquels il fit envoyer une jatte remplie d’eau-de-vie. En bas, près du rivage, il plaça quatre sentinelles. Puis lui-même et ses trois officiers subalternes rentrèrent sous le toit de la baraque qui les abritait, se mirent à boire et à jouer à l’argent.

C’est par l’influence de l’intendant Bigot que Vergor, son ami intime, avait obtenu le commandement de ce poste de confiance. Deux jours auparavant Bougainville avait fait observer à M. de Vaudreuil que le poste n’était pas suffisant, et il avait recommandé qu’on y envoyât une compagnie du régiment de Guyenne pour renforcer le poste. Consulté à ce sujet, Montcalm soutint que le poste suffisait pour garder les hauteurs.

— Si, fit-il remarquer, vous désirez y envoyer cette compagnie, nous relèverons Monsieur de Vergor à qui nous assignerons un autre poste.

Ceci laissait entendre que le Marquis de Montcalm avait peu de confiance dans les capacités de cet officier ou dans sa loyauté.

Mais Bigot s’insurgea contre l’idée de relever Vergor, de sorte qu’il y eut balancement, indécision, et, bref, lorsqu’on convint de renforcer seulement Vergor, il était trop tard. Sur la fin de ce jour du 12 septembre on fit en effet, savoir au bataillon de Guyenne de se rendre, le lendemain le 13, occuper les hauteurs du Foulon.

C’était encore une de ces mésintelligences entre les chefs français, dont profitaient les Anglais. Car ils étaient assez bien renseignés par leurs espions et rôdeurs sur ce qui se passait dans le camp français, pour ne pas parler des traîtres à la cause du roi de France, et il semblait y en avoir plusieurs.

L’un, entre autres, fut amené au général Wolfe le 5 septembre. Cet homme n’était ni canadien ni français. D’origine italienne, aventurier quelconque, il était venu au pays dix ans auparavant et avait essayé de tous les métiers pour s’enrichir rapidement. Son principal commerce était celui de la vente clandestine des eaux-de-vie. Il s’occupait aussi du trafic des fourrures avec les sauvages et trappeurs canadiens, et il avait été bientôt affilié à la bande de Cadet. Cet homme, qui avait d’abord vécu en France où il avait changé son nom de Fossini en celui de Foissan, parlait le français des Méridionaux, et il avait réussi à se faire passer pour Français auprès des paysans et trappeurs ainsi qu’auprès d’un bon nombre de fonctionnaires. Foissan était déjà un peu connu de quelques officiers anglais avec qui il avait fait quelque commerce. Son nom avait été mentionné à Wolfe qui avait alors manifesté le désir de lui parler.

Le général anglais l’interrogea.

— Tu connais bien, demanda-t-il, Monsieur de Bréart et Monsieur… de Cadet ?

— Monsieur Cadet, sourit Foissan, oui, général.

— Et aussi Monsieur de Bréart ?

— Oui.

— Moyennant une prime raisonnable pourrais-tu nous faire livrer, contre espèces sonnantes, quatre cents sacs de farine ?

— Je le pense.

— Les magasins de farine sont à Trois-Rivières, n’est-ce pas ?

— Là et, ailleurs, oui.

— Ces magasins, aux Trois-Rivières, sont gardés par la flotte de Monsieur Vauquelin ?

— Oui, général, et aussi par les vaisseaux de Monsieur Cadet.

— Ah ! c’est juste, sourit le général, monsieur Cadet possède, comme le roi Louis, sa flotte à lui.

— Monsieur Cadet est fort riche et très puissant, sourit Foissan.

— Voilà bien ce que je savais, mon ami, et c’est pourquoi j’ai pensé que votre Monsieur Cadet était l’homme pour nous fournir les vivres dont nous manquons, même si ces vivres manquaient dans votre pays.

— Oh ! sourit encore Foissan, les vivres ne manquent pas ici du moment qu’on a de l’argent pour les acheter.

— Eh bien ! mon ami, nous avons l’argent. Va donc trouver Monsieur Cadet et lui commande pour nous 400 sacs de farine. Il y a pour toi deux cents livres sterling à gagner.

Foissan partit.

Wolfe était donc bien au courant des choses de la colonie française, et il possédait de pré-