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LE SIÈGE DE QUÉBEC

qui semblait bien avoir trente ou quarante pieds de profondeur, ce n’était pas absolument chose facile et agréable. Mais bah ! Flambard en avait vu bien d’autres.

Il s’engagea sur les poutres. Il s’aperçut que ses pieds glissaient. Il fut pris d’un léger vertige…

— Par les deux cornes de satan ! murmura-t-il, vais-je m’évanouir pour si peu ?

À la minute même un étrange filet de lumière traversa le souterrain, rayant l’obscurité d’une blancheur terne. Ce jet de clarté sembla venir derrière le spadassin. Il vit distinctement l’abîme sous lui, les deux poutres qui formaient pont et, de l’autre côté, le garde qui l’attendait. Profitant de cette clarté imprévue, il fit un saut énorme et franchit le gouffre. Il était temps : le souterrain était subitement retombé dans la noirceur.

— Qu’était-ce que cette lumière que nous avons vue ? demanda-t-il au garde.

— Je me le demande, répondit Verdelet.

Soudain un bruit résonna sourdement et tout pareil à celui d’une porte de fer qu’on referme.

— Pan ! dit Flambard, voilà la porte close et la chandelle éteinte. Peux-tu m’expliquer, mon ami ?

— Je n’y comprends rien, répliqua Verdelet.

— Non ? Eh bien ! moi non plus. Allons ! poursuivons notre chemin. J’ai hâte de voir la lumière du jour, car je ne suis pas fait pour vivre comme les taupes.

Verdelet se remit en marche.

Chemin faisant, Flambard pensait :

— C’est sûrement une porte qu’on vient de refermer, et ce ne peut être que cette porte que mes mains ont tâtée. Quant à la lumière, ça devait être la lueur d’un falot, et ce falot devait éclairer la marche d’un personnage quelconque. Par ma foi ! je reviendrai certainement… je reviendrai avec un luminaire et je connaîtrai tout ce que peut avoir d’intéressant ce souterrain. Décidément, monsieur Bigot est un homme à secrets, et de ces secrets il doit en avoir plein le ventre ! Oh ! je finirai pourtant par savoir ce qu’il y a dans ce ventre-là, par les deux cornes de Lucifer !

Tout à coup Flambard buta contre Verdelet qui venait de se laisser choir sur le sol.

— Que diable fais-tu là ? demanda le spadassin.

— Je suis à bout, répondit le garde d’une voix défaillante, les forces me manquent.

— Sommes-nous loin de la sortie ?

— Environ une heure de marche encore.

— Je te porterai, si tu veux.

— Non… je sens que j’ai besoin d’un long repos. D’ailleurs vous pouvez à présent sortir de ce souterrain sans moi.

— Tu penses.

— J’en suis sûr. Je vais vous expliquer le chemin. À partir d’ici, comme vous vous en apercevrez, le couloir devient plus haut et plus large. Quand vous aurez marché un quart d’heure, vous vous arrêterez. Il vous faudra alors avancer avec beaucoup de précautions pour ne pas tomber dans un trou qui mesure au moins quinze pieds de profondeur.

— Un trou ? dit Flambard.

— Un trou où se trouve une échelle qui vous descendra dans un autre souterrain, et ce souterrain, qui va en pente douce, vous conduira directement dans les taillis tout près de la rivière.

— Donc, passé ce trou, le chemin à suivre est tout simple ?

— Simple comme bonjour !

— Bien. Ainsi donc tu ne veux pas que je te porte, tu préfères te reposer un moment ?

— Oui, je suis épuisé.

— Comme il te plaira, mon ami. Toutefois, avant de te quitter, je tiens à te dire que je ne t’en veux pas trop de m’avoir fait jeter dans cette fournaise où tu m’as suivi. Pour le service que tu viens de me rendre je te pardonne. Adieu, mon ami, et souviens-toi que qui se met sur le chemin de Flambard finit toujours par se faire écraser ! Adieu !

— Adieu ! monsieur, je me souviendrai !

Flambard s’en alla.

Il ne marchait pas vite, par crainte d’arriver trop tôt au trou mentionné par Verdelet et d’y faire le plongeon. Il avançait plutôt lentement, tâtonnant des pieds et des mains. Plus d’un quart d’heure s’était écoulé, lorsque, tout à coup, il sentit du vide devant lui. Il n’eut que le temps de se rejeter en arrière : il avait senti que ce vide l’avait attiré.

Il se baissa et des mains chercha une échelle. Il n’en trouva pas.

— L’aurait-on retirée ? se demanda-t-il.

Il chercha encore en tâtonnant… rien !

Alors il réfléchit :

— Quinze pieds… c’est peu de chose. En supposant que je me laisse glisser au bout des bras, il ne me restera plus qu’un saut de sept ou huit pieds.

C’est ce qu’il fit sans plus. L’instant d’après il était suspendu dans le vide. Alors il eut comme le pressentiment que Verdelet l’avait trompé, et qu’il était maintenant au-dessus d’un abîme sans fond. Un frisson le secoua. Il eût l’idée de remonter immédiatement. Il essaya de se hisser, mais ses doigts déjà fatigués glissaient peu à peu.

— Allons ! se dit-il, il n’y a rien à faire. Maintenant que je suis en chemin pour descendre, il faut descendre jusqu’au bout, même s’il n’y avait pas de bout ou de fin !

Il ferma les yeux, serra les dents et lâcha…

La chute lui parut fort longue. Mais il toucha brusquement un sol mou dans lequel ses pieds enfoncèrent… il était rendu !

Il respira avec allégement.

— Bah ! un jeu d’enfant ! murmura-t-il. Décidément, j’ai calomnié ce Verdelet ; maintenant je dois avouer que c’est un bon diable, il ne m’a pas trompé !

Et Flambard se trouvant dans un autre souterrain de quinze à vingt pieds plus bas que le premier, se mit en marche avec l’espoir de se trouver bientôt hors de cette noirceur qui devenait étouffante.

Mais après avoir fait quelques pas, il constata que, contrairement à ce que lui avait dit Verdelet, le couloir allait en montant. Le garde avait dit « en pente douce », et Flambard avait pensé que le couloir allait en déclive. Or,