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cement il l’entraînait vers un divan placé devant une haute cheminée dans laquelle un feu de gaz flambait.

Tous deux s’assirent. Le docteur continuait d’entourer la taille frêle et exquise de la jeune femme. Elle, souriait toujours. Ses cheveux noirs comme du jais, très ondulés, discrètement parfumés, étaient remontés sur le sommet de la tête en une petite pyramide délicieuse dans laquelle étincelaient les feux de diamants dissimulés savamment. Elle avait le teint très clair, légèrement rosé, les lèvres très rouges et très humides, un sourire charmeur. Ses yeux très noirs aussi, doux et candides, demeuraient à demi voilés sous de longs cils. Cette femme représentait la jeunesse dans toute sa fraîcheur et tout son éclat. À voir ainsi ces deux êtres l’un près de l’autre, lui, l’homme de la quarantaine avec sa barbe noire, elle, avec sa jeunesse épanouie et sa physionomie d’enfant, on eût dit le père et la fille.

— Vous ne vous êtes pas bien regardée, ma chère enfant, poursuivit le docteur avec une tendresse vraiment paternelle, je vous assure que vous êtes un peu plus pâle que d’ordinaire. Ne seriez-vous pas un peu souffrante ? … On ne sait jamais, après ces longues veilles comme ces nuits passées.

— Je vous jure, mon ami, que ma santé n’a jamais été meilleure !

— Éprouvez-vous quelques soucis des ennuis quelconques, des chagrins, que sais-je ?

— Comment cela serait-il, quand vous m’avez faite la plus heureuse des femmes ?

— Ah ! Lina, que j’aime vous entendre dire ces paroles : « La plus heureuse des femmes ! » Ainsi, j’aurai tenu mes promesses ?

— Vous les avez tenues au-delà du possible. Pouvais-je espérer autant. Vous rappelez-vous mon ami, ce soir décisif dans mon existence ?

— Ce fut le plus beau soir de ma vie, Lina !

— Et mon plus beau soir à moi !