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son blâmé la procédure injuste et criminelle, donna à l’échafaud, le 18 janvier 1839, cinq victimes encore.

Enfin, le 15 février, le bourreau dit son dernier mot de cette lamentable et lugubre affaire en nouant sa corde au col de cinq autres martyrs, et de ce nombre, Charles Hindelang.

Ces dates rouges demeureront ineffaçables parce qu’elles sont là pour attester l’outrage le plus profond fait à l’âme d’une race fière et chevaleresque !

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Hindelang avait d’abord été conduit à la vieille prison située près de la Place Jacques-Cartier.

Mais il ne fut pas interné avec les autres prisonniers politiques, on l’enferma dans un cachot qu’habitaient trois criminels étrangers dont l’un, suisse d’origine tout comme Hindelang, parlait la langue française. Les deux autres étaient d’origine hollandaise. On affirme que ces trois criminels étaient de la plus dangereuse espèce, et l’on croit qu’Hindelang fut mis avec eux à dessein. N’était-ce pas une sorte de torture, et même une torture raffinée que d’attacher cette nature vaillante et droite à ces parias ? C’est bien ce que pensaient les ennemis du jeune homme. Et à son égard aussi le mot d’ordre avait été donné : ses geôliers avaient été informés qu’il était d’une espèce plus dangereuse que ses trois compagnons de cachot. Ils avaient également reçu ordre de n’avoir aucun ménagement pour ce français. Et les geôliers, par haine du français, allèrent jusqu’à promettre des adoucissements à ses compagnons de chaîne pour lui faire toutes les misères possibles.

Mais ceux-ci, en dépit de toute leur dégradation, malgré la bassesse de leurs instincts, malgré les promesses assez alléchantes souvent des geôliers, se firent l’ami d’Hindelang. Car le jeune homme par sa nature gaie et généreuse avait conquis la sympathie de ses trois compagnons dès les premiers jours de son incarcération. Loin de lui faire des misères, ils s’efforcèrent de le protéger et le défendre contre qui l’attaquerait. Cette amitié fut donc précieuse pour Hindelang, puisqu’elle fut une sorte d’adoucissement aux horreurs de la captivité.

Mais cela n’a pas empêché la souffrance de marteler ce cœur tendre. Il souffrit, mais il ne laissa rien paraître. Il conserva sans cesse son calme et sa gaieté, comme il conservait tout au tréfonds de son être sa torture. Sa pensée quittait chaque jour l’infect réduit et allait revivre doucement auprès de sa mère ou auprès d’Élisabeth. Quand venait le découragement ou le désespoir, de suite il allait retremper son courage auprès de ces deux êtres si chers et si aimés. Il conservait l’espoir de les revoir un jour ou l’autre, qu’on le relâcherait puisqu’il n’avait commis aucun crime, et qu’alors le double bonheur dont il jouirait lui ferait tôt oublier les jours d’angoisse vécus dans cette prison. Mais quand il songeait à ce double bonheur, il se rappelait ce qu’un soir M. Rochon lui avait dit relativement aux insurgés canadiens qu’on jetait en prison et le sort qu’on leur réservait.

— On ne les fusille donc pas ? avait demandé Hindelang.

— Non, avait répondu M. Rochon, ce serait trop d’honneur ; on leur met une corde au cou simplement.

À cette évocation le jeune homme frissonnait.

Et encore revenait à son esprit l’effroyable vision qu’il avait eue sur le lac Champlain. Maintenant quand il y pensait, une sueur glacée mouillait la racine de ses cheveux. Ah ! est-ce que ce songe terrible allait devenir bientôt une réalité ?

Un jour, plus tenaillé que d’ordinaire par le désir de savoir le sort qu’on lui préparait, il interpella un geôlier.

— Pouvez-vous me dire si l’on va me faire un procès, et quand on va me le faire ? demanda-t-il.

Le geôlier partit d’un rire sardonique et s’éloigna sans daigner répondre autrement.

— Imbécile ! gronda Hindelang. Puis en chœur avec ses trois compagnons il se mit à rire du geôlier.

Ce rire fit mal à cette brute. Il se promit de se rattraper.

Le lendemain, le prisonnier chargé de la distribution des rations aux prisonniers oublia celle d’Hindelang.

— Bon ! dit-il avec surprise, je te pensais parti. Attends cinq minutes, je vais revenir.

En s’en allant il avait cligné de l’œil au gardien qui l’escortait, celui même de qui Hindelang avait ri la veille de ce jour.

Mais l’autre ne revint pas avec la ration