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LE DRAPEAU BLANC

mouvoir devant lui. Croyant avoir affaire à des ennemis inconnus, il voulut retraiter rapidement vers le cercle de lumière que projetaient les réverbères de l’auberge. Mais tout à coup aussi ces réverbères s’éteignirent, et la plus grande noirceur régna sur la place de l’hôtellerie. En même temps un cri s’éleva :

— Mort au spadassin !

Flambard vit soudain d’autres ombres surgir et l’entourer, et il remarqua que ces ombres brandissaient des rapières. Il tira la sienne.

Un coup de pistolet éclata à dix pas de lui, et il entendit une balle siffler en passant au-dessus de son épaule. Ce coup de feu avait semé l’émoi dans le village, les groupes de paysans et l’hôtellerie. En un instant toutes les lumières de l’auberge furent éteintes, les volets clos et les portes fermées et barricadées, comme si l’on eût craint ou l’approche de régiments anglais, ou l’attaque de bandits contre la diligence. Quant aux paysans et villageois, ils s’étaient vivement éclipsés.

Flambard crut alors pouvoir expliquer la disparition de son cheval : nul doute que sa monture avait été détachée et enlevée par ces maraudeurs qu’il voyait s’agiter comme des fantômes dans l’ombre autour de lui.

— Par mon âme ! s’écria-t-il ! êtes-vous les serins qui barrez les routes et les ponts et défendez l’abord des auberges ? Arrière !

Nul ne répondit et nul mouvement de recul ne parut se produire dans le cercle qui se refermait sur notre héros. C’était un cercle d’acier qu’il ne serait pas facile de briser dans cette obscurité, et Flambard le comprit. Mais sa bravade reprit le dessus à un commencement de malaise, et il cria en brandissant sa rapière :

— Tant pis ! j’aurai du moins le plaisir de trouer vos gorges de bandit et de vous faire renvoyer tout votre venin !

Il fonça droit devant lui…

Une dizaine de rapières heurtèrent la sienne, et l’une d’elles le piqua légèrement sous le menton. Il retraita vivement vers le centre du cercle. Il se sentait environné et pris dans un piège. Il comprenait enfin que c’était uniquement à sa vie qu’on en voulait, et il pensait que ceux qui lui avaient tendu un guet-apens au fond de ce ravin près de Saint-Augustin l’avaient rejoint à la Pointe-aux-Trembles. Ces gens devaient être résolus. Il promena un regard circulaire et vit de tous côtés luire des lames de rapières. Il voyait la mort cette fois le guetter de près. Néanmoins, il ne mourrait pas sans avoir fait quelques victimes. Ah ! si seulement une flamme de bougie éclairait la scène, il pourrait encore s’en tirer sans trop de peines. Mais là, s’il tentait de frapper devant lui, des rapières l’attaqueraient par derrière… Que faire ?

Encore que fort mal pris, Flambard ne désespérait pas tout à fait ; et, tout en réfléchissant et en observant l’approche de l’ennemi, il cherchait un moyen de se sortir de là. C’était difficile, car notre héros estima le nombre de rapières qui le guettaient à douze ou quinze, et peut-être bien davantage. Oui, si à cette minute Flambard avait pu faire briller un rayon de lumière, il aurait eu vite raison des sacripants qui l’enserraient. Aussi, en constatant que l’aubergiste avait éteint toutes les lumières de son établissement, lumières qui auraient suffi amplement à l’éclairer, fut-il pris d’un accès de colère, et il clama de sa voix retentissante :

— Hé là ! aubergiste de malheur, rallume tes luminaires ! Serais-tu par hasard complice de ces coupe-jarrets ?

À cet appel qui résonna dans la nuit comme un coup de clairon, une porte-fenêtre s’ouvrit sur la terrasse, et un homme apparut portant un falot. Il s’approcha rapidement de la balustrade, se pencha et projeta la lumière du falot sur la place de l’auberge, disant :

— Allez, monsieur, je vous éclaire !

Le spadassin reconnut le postillon qu’il avait généreusement traité.

— Merci, mon ami, répondit Flambard tout en promenant un rapide regard autour de lui.

Il était temps : il vit à deux pieds de lui une douzaine de soldats et gardes de Bigot qui avançaient contre lui les pointes aiguës de leurs rapières.

Il fit siffler sa lame dans un geste circulaire, et les rapières ennemies retraitèrent d’une demi-longueur de lame.

— Par le ciel ! cria Flambard, c’est encore Monsieur l’intendant, je crois, qui se mêle de mes affaires… nous allons voir !

Il fondit en avant avec la vitesse du vent, sa rapière coupa l’espace comme une flamme, et un soldat tomba. Il fit volte-face, et