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LA GUERRE ET L’AMOUR

bassesse, bref, il n’était plus qu’une ordure humaine. Ah non ! il n’était pas digne de cette vierge dont il avait convoité la main pure. En l’épousant, après avoir commis son action infâme, il eût été deux fois indigne, deux fois coupable. Oui, comme Max, il était juste qu’il expiât, il avait d’ailleurs commencé à expier par les remords et les tourments qu’il avait subis. Mais cela ne suffisait point, le châtiment demeurait trop doux. Que pouvait-il désormais attendre de la vie ? Un jour, il n’y avait pas si longtemps encore, l’existence future lui était apparue toute pleine de délices et de béatitudes en la compagnie d’une belle et jeune femme qu’il adorait Mais le rêve s’était évanoui. Louise était pour à jamais perdue pour lui, et nulle femme au monde, lui semblait-il, ne pourrait remplacer celle qu’il aimait encore de toutes les forces de son âme. Donc, désormais, son existence ne serait qu’une suite de remords, de regrets et de honte.

Une fois, il murmura, sans probablement s’entendre :

— Max a expié… Je veux expier aussi.

Cette pensée ou ce murmure parut le tirer de ses méditations. Tout d’un coup, retrouvant tout son calme, tout son sang-froid, il se mit à écrire, lentement, posément. C’était une lettre à sa mère qui vivait à Boston. Puis il écrivit d’autres lettres… il écrivit toute la nuit…

Pendant ce temps, Olivier, toujours près de Louise, épiait son réveil, car elle paraissait dormir d’un sommeil tranquille, réparateur. Vers les cinq heures du matin, le chirurgien revint, comme il l’avait promis. Il avait estimé qu’elle sortirait de ce lourd sommeil après quatre ou cinq heures. Or, il y avait maintenant six heures que durait ce sommeil et cette fois Olivier commençait à s’inquiéter. Le chirurgien venait donc à cette heure matinale voir si son pronostic s’était réalisé, et, au cas d’un réveil de la jeune fille, lui donner les premiers soins.

Il venait de tâter le pouls de Louise et faisait ses observations à Olivier, lorsque se présenta un jeune officier, l’air quelque peu effaré et disant que la présence du chirurgien était requise sur le navire du major Carrington.

— Monsieur, expliqua l’officier, nous avons entendu un coup de feu dans la cabine du major. Nous sommes accourus et nous avons vu le major écrasé dans une mare de sang au pied de son lit.

Le chirurgien quitta précipitamment Olivier et Louise toujours dans le même sommeil. Il arriverait trop tard. Carrington s’était fait sauter le crâne d’un coup de pistolet.

♦     ♦

Tout à coup, Louise proféra un faible cri, comme on peut crier dans un rêve. Ses bras s’agitèrent comme pour repousser quelque chose qui l’effrayait. Puis, dans un sursaut, elle ouvrit les yeux, de grands yeux tout pleins d’effroi ou de stupéfaction. D’abord, elle regarda tout droit devant elle, puis à côté d’elle, et enfin, penché sur son chevet, elle aperçut le visage à la fois grave et souriant d’Olivier. Lui, déjà, la soulevait dans ses bras, murmurant.

— Louise, Louise… ma bien-aimée…

— Olivier… fit-elle dans un souffle. Ô mon Dieu ! reprit-elle, la voix plus raffermie, c’était donc l’enfer, là-bas, et maintenant vous daignez m’ouvrir votre ciel, où je retrouve mon cher fiancé… Merci, ô mon Dieu !…

Et comme Olivier posait ses lèvres sur les siennes, elle passa ses bras à son cou, referma ses paupières et se rendormit doucement, dans un sourire de bonheur et d’extase.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et, là-bas, la forêt incendiée était encore toute rouge, pareille à une forge monstrueuse qui souffle et halète en crachant des jets de flamme, tandis que le ciel comme dans un calme éternel, étendait doucement les plis de son manteau de pourpre.


FIN