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LA GUERRE ET L’AMOUR

Alors, il se dressa dans un bond, criant de toute sa force :

— Max !… Max !… Max !…

L’Indien, quoique éloigné encore, entendit de son ouïe fine cet appel. Il s’arrêta net, comme surpris. Puis, il regarda tout autour de lui, sa main en abat-jour sur ses yeux. Il vit tout ce monde groupé sur le tertre rouge par les lueurs du brasier. Puis, il aperçut Olivier qui lui faisait des signes, qui l’appelait. Il ne parut pas s’émouvoir. Il reprit sa marche vers le monticule. Chacun put alors admirer le flegme de ce Sauvage, la sveltesse de sa taille et la grâce de sa démarche.

— Max !… Max !… cria encore Olivier courant à lui, les mains tendues… Est-ce bien toi, Max ? Est-ce possible ? Oh ! comme je te reconnais…

L’Indien laissa serrer sa main, et dit sans émotion apparente :

— Ah ! mon frère blanc est revenu… Mais il doit avoir bien du chagrin d’apprendre que sa sœur, sa fiancée, est morte, brûlée par la forêt.

Il étendit son bras mince vers le brasier, dans un geste superbe, comme si cet homme des bois eût été le maître de la nature et des éléments et leur eût commandé.

— Ah ! mon cher Max, reprit Olivier en pleurant, tu ne sais pas, je le vois bien, que Louise est encore vivante… Oui, là, regarde… Vivante, mais vivante dans la mort, perdue pour à jamais. Regarde, Max…

L’Indien regarda. Il vit Louise qui venait de se mettre debout. Tout son être frémit. Il contempla un long moment le ciel rouge comme pour y chercher quelque chose.

Un grand silence se faisait partout. Le brasier, qui jusque là n’avait cessé de bourdonner, de crépiter, de siffler, de détoner, se taisait, comme s’il eût voulu prêter l’oreille à quelque voix invisible qui lui parlait. On ne percevait plus qu’un souffle léger et continu, comme fait une brise dans la feuillée.

Tous les regards allaient tour à tour de l’Indien à la femme dans la fournaise.

Max regardait toujours le ciel, dont le pourpre, par moments, se teignait de rose clair. Il paraissait pétrifié dans une immobilité de roc ; on eût dit une statue de bronze posée sur un tertre funéraire.

Mais un murmure derrière lui le tira de sa contemplation. D’ailleurs, Olivier venait de pousser une exclamation de détresse, car, ainsi que tous les autres spectateurs, il voyait Louise lever soudain les bras au ciel dans un geste désespéré et suppliant à la fois, chanceler une seconde et s’abattre de tout son long. On ne la vit plus, des troncs d’arbres renversés et superposés la dérobant à la vue.

Olivier fit entendre un autre cri, si douloureux, que tous les cœurs battirent d’une immense pitié.

Mais déjà Max jetait son fusil, et enlevait son habit de peau de cerf, offrant aux regards surpris et admiratifs une splendide nudité cuivrée. Et l’on n’était pas revenu de la surprise, que Max, ayant vivement roulé son vêtement sous son bras, s’était élancé dans une course rapide vers le brasier.

Un cri de stupeur retentissait encore dans le ciel sanglant, que l’Indien, déjà, courait à travers les colonnes de feu, bondissant, enjambant les troncs couchés et carbonisés, sautant par-dessus tous les obstacles. Et ses pieds lançaient des flammes, soulevaient des nuées de cendres pailletées d’or. Des langues de feu le suivaient, le pourchassant ; sa tête en était tout environnée, lui faisant comme une auréole de rubis… Oui, ses cheveux flambaient… Mais il courait, quand même et toujours, dans la fournaise ardente.

Les spectateurs haletaient. On croyait vivre dans un rêve insensé. C’était du prodige. Et à voir cet homme des bois sous sa peau cuivrée ainsi aller à travers ce feu, on s’imaginait, par le caprice du rêve, voir un Satan rentrer dans son enfer après un séjour sur la terre. Les fables antiques n’avaient pas rapporté de fait plus extraordinaire. Mais qu’allait-il se passer ?…

On regardait avec des yeux hébétés.

Max avait atteint son but. Il venait de s’arrêter prés de Louise inanimée sur le sol à peine tiède. Dans cette vaste clairière descendait maintenant la fraîcheur de la nuit. Louise était tombée d’épuisement. Max la contempla un moment. Elle souriait, doucement sous ces paupières closes et de ses lèvres toujours rouges. Elle était très belle, les ardeurs de la fournaise n’avaient pas entamé ou modifié son teint. On pouvait penser qu’elle n’avait pas souffert. Elle paraissait dormir sur une couche d’herbes fraîches, dans une clarté d’astres lumineux et sous un dais de pourpre. Max reconnut qu’elle vivait. Il se pencha un moment sur elle, puis redressa sa fine taille en regardant le ciel. Ses cheveux achevaient de se consumer et il ne paraissait pas ressentir la moindre souffrance, tant sa physionomie restait calme et impassible.

Voici maintenant qu’il déroutait ses vêtements, les posait sur le sol, les étendait avec une grande précaution, puis, soulevant le corps de la jeune fille avec beaucoup de délicatesse, il la déposa sur les vêtements, l’enroula des pieds à la tête,