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LA GUERRE ET L’AMOUR

min, et sous la violence du choc elle avait perdu connaissance. Elle demeurait inanimée. Elle n’était pas morte, car on pouvait voir qu’elle respirait. Le capitaine, accroupi près d’elle, gémissait et pleurait, oubliant tempête, feu et fumée. Mais Louise, retrouvant un peu de calme, songea tout de suite à donner des soins à sa mère. De son mouchoir elle étancha le sang, afin de voir si la blessure était bien grave. Mais que pouvait-elle voir dans la fumée et l’ombre qui se faisait ? Et que pouvait-elle faire, sinon relever la pauvre femme et l’emporter ? Où ? à l’habitation. Pouvait-on aller ailleurs ?… Alors, on aurait pu voir cette frêle jeune fille et ce faible vieillard se charger de ce corps trop lourd pour eux et, à pas très lents et en chancelant, l’emporter vers la maison et vers le foyer d’incendie. Heureusement, on était tout près de la clairière.

Maintenant, dans l’habitation, secouée par la tempête, gisait, inanimée pour toujours cette fois, dame Dumont. Elle était morte, chemin faisant, sans qu’on s’en aperçut. En pénétrant dans la maison, Louise, la première, reconnut, qu’on ramenait un cadavre…

♦     ♦

Dame Dumont dormait de son dernier sommeil dans sa chambre et sur son propre lit. Agenouillé près du corps, le capitaine continuait à gémir et à pleurer. La nuit venait, et quelle nuit, Seigneur ! Louise, après avoir essayé, et bien vainement, de consoler son pauvre père, dont la douleur était pour elle une souffrance indicible, se découragea. Un moment, elle demeura debout au milieu de la chambre, toute droite, très pâle et sans un mouvement, comme pétrifiée, considérant d’yeux humides cette morte et ce pauvre vieux écrasé de douleur. Si elle ne bougeait pas, elle sentait du moins son cœur se briser. Que n’eût-elle donné pour rendre la vie à sa mère et la joie à son père ! Elle aurait tout donné, sa vie la première. Un lourd sanglot, une fois, l’agita des pieds à la tête. Puis, tout à coup, comme sortant d’un rêve, elle promena autour d’elle un regard égaré. Elle vit la nuit envahir la chambre, une nuit opaque presque et secouée du bruit de la tempête. Louise, maintenant, distinguait difficilement ce qui s’offrait à ses yeux. Elle voulut faire de la lumière. Mais elle se souvint que les lampes avaient été emballées et chargées sur la charrette avec d’autres effets. Si elle se rendait à la chapelle, elle y trouverait quelques bouts de chandelles peut-être ? Elle quitta la chambre et pénétra dans la grande salle commune, sombre, déserte, et dont une partie du mobilier avait été enlevée. Et alors, elle se vit tout à coup comme seule sur la terre et abandonnée. Seule ? non. Un sourire, mais si triste, passa fugitivement sur ses lèvres ; elle venait d’évoquer le souvenir d’Olivier. Puis, ce fut l’image de Carrington qui se présenta, mais qu’une autre image chassa aussitôt, celle de Guillaume. Au fait, ce Guillaume, où était-il ? Que faisait-il ? Pourquoi ne revenait-il pas ? Ah ! le pauvre et innocent Guillaume, reviendrait-il jamais, pris comme elle-même dans un implacable cercle de feu qui petit à petit se rétrécissait, se refermait.

Cependant Louise était arrivée à la chapelle. Y ayant trouvé une obscurité complète, à cause du volet fermé de l’unique fenêtre, elle chercha sur des tablettes un bout de chandelle en tâtonnant des mains. Elle n’en trouva pas. Pourtant elle savait qu’il y en avait quelque part. Elle parcourut la petite chapelle en tous sens sans découvrir ce qu’elle cherchait. Elle s’énervait, elle s’affolait dans l’horrible sarabande déchaînée au dehors, dont le vacarme continu pénétrait tout l’intérieur de la maison, qui elle-même semblait danser dans la ronde infernale. Louise, dans ce tumulte, dans les vibrations qui secouaient le sol, sentait un vertige la prendre au cerveau.

Tout à coup, dans un interstice du volet, elle crut percevoir des lueurs rouges traverser l’obscurité du dehors, tandis que d’innombrables crépitements pareils à une averse de grêlons s’abattant sur la toiture d’une maison aux tuiles sonores, répandaient de tous côtés un bruit de fusillade. À la même minute, un cri long et strident, semblable au braiment de l’âne, retentit, suivi aussitôt de deux hennissements. Louise pensa que les chevaux et le mulet, partis à l’aventure et ne trouvant pas d’issue pour échapper au danger qu’ils avaient flairé, étaient revenus aux étables. Puis encore, ce fut une longue suite de meuglements, de mugissements, de bêlements plaintifs. Ainsi, tous les animaux de la ferme, effarés, épouvantés, étaient revenus vers l’habitation de leurs maîtres, comme s’ils en attendaient aide et secours, les appelant de leurs longs cris de détresse.

— Les pauvres bêtes !… murmura Louise apitoyée.

Alors, lui vint le souvenir des volailles restés sur le chemin et enfermées dans l’armoire. Elle soupira fortement en songeant en quelle détresse elles devaient, elles aussi, se débattre. Oui, les pauvres bêtes auxquelles elle avait donné ses soins quotidiens avec tant de tendresse !

Comme le cri des animaux continuait à se mêler aux fracas de la tempête, attirée par elle n’aurait su dire quelle force ou quelle puissance, elle alla à la fenêtre jeter un coup d’œil dehors par l’interstice